Pourquoi écrit-on Argiope trifasciata (Forsskål 1775) entre parenthèses et Argiope aurantia Lucas 1833 sans parenthèses ?

P. Paquin
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Dans le but de se donner une base commune pour communiquer, les scientifiques se sont dotés d’un système pour nommer et classer les êtres vivants. Ils se sont entendus sur un point de départ, soit la dixième édition de Systema Naturae publié par le naturaliste Carl von Linnée en 1758, où l’espèce est l'unité fondamentale.  Des individus appartenant à la même espèce peuvent se reproduire entre eux, mais ceux qui appartiennent à des espèces différentes ne le peuvent pas. Ce système ne s’applique pas qu’aux araignées, il convient à tout ce qui vit : plantes, micro-organismes, champignons et animaux. Dans ce système, les noms des espèces sont en latin, ce qui est un net avantage puisque tous les scientifiques de la planète utilisent le même nom pour désigner une espèce, peu importe leur langue maternelle.

Un nom d’espèce est composé de deux mots latins. Le premier s’appelle genre et à ce nom est apposé un deuxième mot qu’on appelle une épithète spécifique. L'ensemble de ces deux noms forme le nom de l'espèce.

Par exemple : Argiope aurantia. Le nom du genre est Argiope et le nom de l’espèce est Argiope aurantia. Les mots en langue étrangère à la langue principale d’un texte sont en italique, ce qui est fort utile pour repérer les noms des espèces dans un paragraphe. Par convention, seuls les noms des espèces et des genres sont en italique, les noms des taxons supérieurs au genre (famille, superfamille, tribus, classe, ordre, etc.) ne s’emploient pas en italique, même s'ils sont en latin.

Le nom du genre commence toujours par une majuscule, le nom de l’épithète scientifique, toujours par une minuscule. Dans une communication scientifique écrite, vous voulez savoir si votre interlocuteur est aussi compétent qu'il le prétend ? Regardez si cette règle de base est respectée : majuscule au genre et minuscule pour l’épithète scientifique, cela est souvent très révélateur.

On rencontre aussi : Argiope aurantia Lucas 1833. Que veut dire ce nom après le nom de l’espèce ? Il s’agit du nom du scientifique qui a publié un article en 1833, dans lequel il nomme et décrit une espèce jusqu’alors inconnue pour la science : Argiope aurantia. En fait, il s'agit de la référence à un article scientifique, qui dans ce cas est :

Lucas, H. 1833. Description d’une espèce nouvelle d’arachnide appartenant au genre Argyope de Savigny. Annales de la Société entomologique de France 2:86–88.

Le lecteur attentif aura remarqué qu'à l'époque de Lucas (1833), le nom du genre s'écrivait avec un « y », ce qui n'est plus le cas de nos jours; il n'y a donc pas d'erreur ici en citant le titre original de l'article. Fait étrange propre aux références dans lesquelles se trouvent les descriptions des espèces (et des autres taxons), ces articles scientifiques ne sont que rarement inclus dans les listes de références. Ce sont pourtant des concepts et hypothèses de nature scientifique qui devraient faire partie de la liste des ouvrages consultés pour tout travail qui utilise ces notions, mais pour des raisons obscures, ces références ne sont pas incluses. De nos jours, la valeur d'un travail scientifique est mesurée au nombre de citations que les articles publiés génèrent. Cette aberration est en partie responsable de la perception du peu de valeur de la taxonomie, puisque si l'utilisation de tels articles n'est jamais comptabilisée, il devient facile de dire que ce n'est pas utile, malgré le fait que les « espèces » soient des éléments essentiels aux travaux de recherches dans une multitude de disciplines (voir Vink et al. 2012).

Dans un texte, il est de mise de donner le nom complet de l’espèce avec son auteur quand elle est citée pour la première fois : Argiope aurantia Lucas 1833. Par la suite, pour alléger, le nom abrégé est utilisé, sans l'auteur : A. aurantia, à moins que ce nom ne commence une phrase, on utilise alors Argiope aurantia pour éviter de débuter une phrase avec une lettre suivie d'un point.

Les noms des genres sont aussi sujets à des règles; un nom de genre qui apparaît pour la première fois dans un texte est lui aussi suivi du nom de l’auteur et de la date, en référence à l'article publié dans lequel l'hypothèse scientifique qui définit ce genre a été proposée. Par exemple : le genre Argiope Audouin 1826. C'est dans cet article qu'est appliqué pour la première fois, le concept qui définit le genre Argiope, concept toujours valable de nos jours. Toutefois, si le nom de genre est inclus en donnant un nom d'espèce, on ne précise pas qui est l'auteur du genre.

On rencontre aussi un nom d'espèce suivi de son auteur, mais dans cette graphie : Argiope trifasciata (Forsskål 1775). Certains lecteurs plus perspicaces auront remarqué : oups, il y a une erreur quelque part, parce que cette fois-ci, le nom de l’auteur de l’espèce est entre parenthèse et pour Argiope aurantia Lucas 1833, il ne l’est pas ! Il ne s’agit ni d’une erreur, ni d’un manque de constance. Dans ce cas, il s’agit plutôt d’une indication que dans l’article de Forsskål de 1775, l’espèce n’a pas été décrite dans le genre Argiope, mais dans un autre genre que celui dans lequel cette espèce se trouve aujourd’hui. Dans cet exemple, cette araignée avait été décrite par Forsskål dans le genre Aranea. Depuis la parution de cet article en 1775, des chercheurs ont découvert que cette espèce n’appartient pas au genre Aranea comme le croyait Forsskål, mais plutôt au genre Argiope. L’espèce Aranea trifasciata de Forsskål a été transférée dans le genre Argiope (dans une autre publication), et les parenthèses au nom de l’auteur indiquent que l’espèce ne se trouve plus dans le genre dans laquelle elle a été décrite à l’origine. Je précise ces détails parce qu’ils démontrent que dans le système de nomenclature scientifique, les noms progressent avec l’acquisition des connaissances, contrairement aux noms francisés qui eux, sont fixés dans le temps.

Comment alors savoir si l'auteur du nom d'une espèce doit être entre parenthèses ou pas ? Dans ce cas, il faut se fier aux taxonomistes qui sont familiers avec la nomenclature scientifique, comme par exemple Paquin & Simard (2021) qui ont publié la liste des espèces connues du Québec jusqu'en 2021. Le catalogue mondial des araignées peut aussi être consulté (WSC 2022); il contient toute l'information nécessaire pour chacunes des 50 000 espèces d'araignées connues à ce jour.

Références

Audouin V. 1826. Explication sommaire des planches d'Arachnides de l'Égypte et de la Syrie, publiées par Jules-César Savigny, membre de l'Institut; offrant un exposé des caractères naturels des genres, avec la distinction des espèces. Pages 99–186 in Description de l'Égypte ou recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'armée française, publiée par les ordres de sa Majesté l'Empereur Napoléon Le Grand. Histoire naturelle. Tome premier, 4ème partie.

Forsskål P. 1775. Descriptiones Animalium Avium, Amphibiorium, Piscium, Insectorum, Vermium; quae in itinere orientali observavit Petrus Forskal. Post mortem auctoris edidit Carsten Niebuhr. Adjuncta est materia medica kahirina atque tabula maris Rubri geographica. Hauniae. Ex officina Molleri, 1775. Pages xxxiv + 1–164.

Linnée C. 1758. Systema naturae per regna tria naturae, secundum classes, ordines, genera, species cum characteribus differentiis, synonymis, locis. Editio decima, reformata. Holmiae, 821 pages. [Araneae, pages 619–624].

Lucas, H. 1833. Description d’une espèce nouvelle d’arachnide appartenant au genre Argyope de Savigny. Annales de la Société entomologique de France 2:86–88.

Paquin P, Simard C. 2021. Liste des espèces d'araignées du Québec : mise à jour, changements taxonomiques et nouvelles mentions. Hutchinsonia 1:1–20.

Vink CJ, Paquin P, Cruickshank RH. 2012. Taxonomy and irreproducible biological science. Bioscience 62(5):451–452.

World Spider Catalog, Version 23.0. https://wsc.nmbe.ch/

Publié 
2022
 dans la catégorie 
Arachnides