Première mention de Trabeops aurantiaca (Emerton 1885) (Araneae : Lycosidae) au Québec

P. Paquin (1), G. Arbour (2)
1. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
2. 294 Woodland, Otterburn Park, QC, J3H 4B8, Canada. Courriel : gillesarbour@gmail.com

Résumé. Nous rapportons la première mention de Trabeops aurantiaca au Québec. Un total de 16 spécimens ont été récoltés au cours du bio-inventaire de la Réserve naturelle du Bois-des-Patriotes. Cette araignée est de petite taille (3–4 mm) et orangée, ce qui est inhabituel pour une espèce de Lycosidae. Elle se reconnaît aussi par le patron oculaire, mais c'est l'examen des pièces génitales mâles et femelles (illustrées) qui procurent les caractères nécessaires à une détermination fiable. La distribution des captures en fonction des semaines permet d'avancer qu'au Québec, T. aurantiaca passe l'hiver au stade de sub-adulte et que la présence des mâles est probablement restreinte au  début du printemps.
Mots clés. araignées du Québec, phénologie, protandrie, bio-inventaire.

Abstract. Trabeops aurantiaca is reported for the first time in Quebec. A total of 16 specimens were collected in a bio-inventory of the Réserve naturelle du Bois-des-Patriotes. This species is small (3–4 mm) and rather orange, which is unusual for a Lycosidae. The species is recognizable by its eye pattern, but male and female genitalia (illustrations given) provide the only reliable characters for species identification. The collections allow us to speculate that in Quebec, T. aurantiaca overwinters as sub-adults and that the occurrence of adult males might be limited to early spring.
Keywords. spiders of Quebec, phenology, protandry, bio-inventory.

Introduction

Nous avons effectué une année de terrain dans le cadre du bio-inventaire des araignées de la Réserve naturelle du Bois-des-Patriotes, située dans la municipalité de Saint-Denis-sur-Richelieu. Le site a été échantillonné aux deux semaines avec un protocole ponctuel qui comprend trois méthodes de capture : une heure de battoir pyramidal, une heure de tamis (la matière triée est ensuite passée à l'extracteur Berlèse) et une heure de recherche visuelle dans divers micro-habitats. Ce protocole maximise l'échantillonnage de la diversité aranéologique en une période de temps quantifiable.  Douze visites, du 21 mai au 24 octobre 2020, ont permi sla récolte des échantillons. Les spécimens étaient gardés vivants à des fins de photographies et/ou conservés en alcool pour identification ultérieure.

Figures 1–3. Trabeops aurantiaca. 1) femelle, vue dorsale, 2) femelle, vue fronto-dorsale, 3) mâle pénultième, vue fronto-dorsale.

Deux femelles Trabeops aurantiaca (Emerton 1885) se trouvaient parmi les spécimens du 04 juin 2020. Sur le terrain, la teinte orangée (fig. 1–3) et la petite taille (2,8 à 3,8 mm) n'avaient pas permis de reconnaître cette petite araignée, ni même la famille des Lycosidae, ce qui a causé une surprise lors de l'examen au stéréoscope. D'autres spécimens ont été récoltés dans les semaines subséquentes. Cette espèce n'avait jamais été capturée au Québec et nous détaillons ici cette trouvaille.

Résultats

Données de récolte
CPAD : Collection Paquin & Dupérré, Shefford.

Trabeops aurantiaca (Lycosidae)
CANADA : Québec : La Vallée-du-Richelieu : Réserve naturelle du Bois-des-Patriotes [45.7305, -73.0791] 04.vii.2020, tourbière - au sol, chasse à vue  • litière, tamis/Berlèse  • 07.viii.2020, tourbière - au sol, chasse à vue 2 • 24.x.2020, tourbière - litière, tamis/Berlèse , 7 imm., 4 imm., P. Paquin & G. Arbour (CPAD).

L'échantillonnage a permis de capturer 16 spécimens de T. aurantiaca et la figure 4 montre la répartition de ces récoltes au cours de la saison. Les femelles adultes ont été trouvées à partir du début juillet jusqu'à la fin de la saison. Contrairement à la plupart des Lycosidae, il est possible de reconnaître les individus immatures qui appartiennent à cette espèce par le patron oculaire. Les yeux postérieurs sont particulièrement gros comparativement aux yeux antérieurs (fig. 1–3, 6) et la position des yeux postérieurs médians fortement vers l'arrière est aussi un caractère distinctif. Ces identifications ont permis d'établir la présence de plusieurs individus immatures en fin de saison.

Figure 4. Abondance de Trabeops aurantiaca en fonction des semaines d'échantillonnage. Les femelles ont été récoltées à partir du 4 juillet et 4 mâles et 7 femelles pénultièmes ont été capturés le 24 octobre. Aucun mâle adulte n'a été récolté.

Discussion

Figures 5–8. Trabeops aurantiaca. 5) palpe du mâle, vue ventrale, 6) habitus femelle, vue dorsale, 7) épigyne, vue ventrale, 8) épigyne éclaircie, vue dorsale. Illustrations tirées de Dondale & Redner (1990).

La détermination de l'espèce a été confirmée par l'examen des génitalia des femelles adultes (fig. 7–8) qui procurent un diagnostic fiable. Le mâle de l'espèce possède aussi des génitalia distinctifs (fig. 5), mais aucun mâle adulte n'a été trouvé pendant l'échantillonnage.

Les Lycosidae sont souvent abondants au sol et une méthode efficace pour les capturer est le piège-fosse (Paquin 2021). Cette méthode n'a pas été utilisée dans cette première phase du bio-inventaire, mais l'examen visuel et le tamis/Berlèse ont permis la capture de 16 spécimens, ce qui laisse croire que cette araignée est probablement abondante.

Dans notre province, les nouvelles mentions d'espèces qui se trouvent aux États-Unis sont habituellement connues de l'Ontario, qui comprend des latitudes plus méridionales qu'au Québec. Le cas de T. aurantiaca fait cependant exception puisque l'espèce est inconnue de l'Ontario (Paquin et al. 2010). Elle ne faisait pas non plus partie de la liste des espèces probables du Québec (Hutchinson & Bélanger 1994). Dondale & Redner (1990) la mentionnent cependant de la Nouvelle-Écosse, ce qui est limitrophe au Québec.

Kaston (1948) rapporte que T. aurantiaca est associée aux bois humides, aux marais et aux bordures de rivière, et Dondale & Redner (1990) ajoutent les forêts de pins et de chênes, les bordures de lacs et de ruisseaux à cette liste d'habitats connus. Cependant, aucun ne mentionne les tourbières pour cette araignée, ce qui démontre la grande plasticité écologique de l'espèce. Il est peu probable que T. aurantiaca soit une spécialiste des tourbières puisqu'elle n'a pas été trouvée dans les bio-inventaires des tourbières de l'Ontario et du sud du Québec (Dondale & Redner 1994). Toutefois, une association aux milieux humides se démarque des données connues, ce que confirment nos spécimens. Nos captures suggèrent que T. aurantiaca passe l'hiver à l'état de sub-adulte (stade pénultième) et deviennent adultes tôt au printemps suivant. Habituellement, la maturation des mâles précède celle des femelles, assurant ainsi qu'une femelle prête à s'accoupler pourra trouver un mâle facilement [phénomène appelé protandrie, voir Gunnarsson & Johsson (1990), Bukowski & Avilés 2002)]. Les mâles ne survivent pas très longtemps après la période d'accouplement, contrairement aux femelles qui transportent les sacs d'œufs et prodiguent des soins maternels. La présence de mâles et de femelles pénultièmes en fin de saison dans les échantillons de tamis/Berlèse suggère que ces araignées passent l'hiver à ce stade dans la litière. L'absence de mâles de l'échantillonnage suggère également une présence restreinte au début mai, comme le propose Kaston (1948) pour les populations du Connecticut. À la lumière de cette hypothèse, il est possible que l'échantillonnage ait débuté trop tard pour récolter des mâles adultes T. aurantiaca.

La présence d'adultes limitée au tout début du printemps constitue une hypothèse intéressante pour expliquer la récolte de juvéniles, parfois tout au long de la saison et en grande abondance, sans qu'un seul adulte ne soit trouvé. Par exemple, de nombreuses araignées immatures des genres Mecaphesa sp. (Thomisidae) et Wulfila sp. (Anyphaenidae) ont été ramassées à l'aide du battoir pyramidal, mais aucun adulte permettant la détermination des espèces n'a été trouvé. Il est aussi possible que seuls les mâles adultes soient restreints au début du printemps, tandis que les femelles se trouvent pratiquement tout l'été. Ce type de phénologie semble caractériser Hypselistes florens (O. Pickard-Cambridge 1875) avec des femelles présentes presque tout l'été, tandis que les mâles ne se trouvent qu'au début du printemps (données non publiées). La présence possible d'adultes limitée au début du mois mai procure une piste intéressante pour résoudre les énigmes à propos de la rareté de certaines espèces (Paquin & Dupérré 2001). De telles données sont importantes pour la planification des futures étapes du bio-inventaire, dont le but est de documenter le plus fidèlement possible la diversité des espèces qui vivent dans cette réserve écologique.

Remerciements

Nous remercions Claude Simard et Geneviève Duchesne pour la révision du texte, Charles Dondale pour les illustrations reproduites aux figures 5 à 8. Nous remercions également Éric Malka directeur du Centre de la Nature Mont Saint-Hilaire et Marie-Pier Richard, Ludyvine Millien, Ariane Rose-Tremblay et Geneviève Poirier-Ghys qui sont engagées dans la Conservation de La Réserve naturelle du Bois-des-Patriotes.

Références

Bukowski TC, Avilés L. 2002. Asynchronous maturation of the sexes may limit close inbreeding in a subsocial spider. Canadian Journal of Zoology 80:193–198.

Dondale CD, Redner JH. 1990. The Wolf Spiders, Nurseryweb Spiders and Lynx Spiders of Canada and Alaska (Araneae: Lycosidae, Pisauridae, Oxyopidae). The Insects and Arachnids of Canada, part 17. Agriculture Canada, Ottawa, Publication 1856. 383 pages.

Dondale CD, Redner JH. 1994. Spiders (Araneae) of six small peatlands in southern Ontario or southwestern Quebec. Pages 33–40 in Finnamore AT, Marshall SA (editors), Terrestrial arthropods of peatlands, with particular reference to Canada. Memoirs of the Entomological Society of Canada 169.

Gunnarsson B, Johnsson J. 1990. Protandry and moulting in the spider Pityohyphantes phrygianus. Oikos 59:205–216.

Hutchinson R, Bélanger G. 1994. Liste annotée des Araignées (Araneae) susceptibles de se trouver au Québec. Pirata 1:202–229.

Kaston BJ. 1948. Spiders of Connecticut. State Geological and Natural History Survey of Connecticut, Bulletin 70:1–874.

Paquin P. 2021. Le piège-fosse. Hutchinsonia 1:27–31.

Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.

Paquin P, Dupérré N. 2001. Improving spider collecting: the search for interesting records. Fabreries 26(1):48-54.

Publié 
2021
 dans la catégorie 
Arachnides