Premières mentions canadiennes de Crossopriza lyoni (Blackwall 1867) (Pholcidae), une espèce introduite en Amérique du Nord

F. Bourque (1), J. Perreault (2), G. Arbour (3), P. Paquin (4)
1. 64 Marleau, Mercier, QC, J6R 1Z6, Canada. Courriel : Frann.bou@gmail.com
2. Acton Vale, QC, Canada. Courriel : jeremyperreault06@gmail.com
3. 294 Woodland, Otterburn Park, QC, J3H 4B8, Canada. Courriel : gillesarbour@gmail.com
4. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com

Résumé. Nous rapportons les premières récoltes de Crossopriza lyoni au Canada. Cette deuxième espèce de Pholcidae dans l'est du pays a été trouvée dans des entrepôts commerciaux de deux localités. Le caractère synanthrope de cette araignée est la meilleure hypothèse pour expliquer son introduction et son établissement dans la province. Elle a probablement été introduite à partir du sud des États-Unis où elle est déjà connue. Les caractères servant à reconnaître cette espèce sont présentés et quelques aspects de sa morphologie sont abordés.
Mots clés. araignées du Québec, synanthrope, introduction.

Abstract. We report the first records of Crossopriza lyoni in Canada. This second species of Pholcidae found in eastern Canada was discovered in commercial warehouses from two localities. The synanthropic affinities of this spider explain its introduction and successful establishment in the province. The species is likely introduced from the southern United States where it is already known. Characters to recognize the species are given and some morphological traits are discussed.
Keywords. spiders of Québec, synanthropic, introduction.

Introduction

Chaque année, de nombreuses espèces originaires d'autres parties du monde arrivent accidentellement en Amérique du Nord. La plupart du temps, ces voyageuses introduites par le biais d'échanges de marchandises et de denrées alimentaires ne réussissent pas à survivre aux conditions de leur nouvelle terre d'accueil. Ces individus meurent et l'histoire se termine. C'est particulièrement vrai pour le Québec où les rigueurs de l'hiver créent un obstacle majeur pour ces nouveaux arrivants. Toutefois, certaines espèces proviennent de régions et de latitudes qui possèdent des conditions comparables à ce que représente le nouvel environnement. Ces espèces survivent au voyage, réussissent à s'établir et à se reproduire dans de nouvelles régions. De telles introductions ne forment habituellement qu'un petit pourcentage de la faune. Pour le Canada par exemple, Paquin et al. (2010) ont rapporté que sur 1413 espèces d'araignées connues, seulement 69 ont été introduites au pays.

Nous rapportons ici les premières mentions de Crossopriza lyoni au Canada, documentons cette addition avec des photographies, présentons les caractères pour la reconnaissance de l'espèce et abordons l'origine probable des spécimens récoltés.

Résultats

Tous les spécimens mentionnés dans cet article ont un lien avec la page Facebook Les araignées du Québec. François Bourque avait remarqué un Pholcidae à son lieu de travail, dans un entrepôt à Lachine. La récolte de cette femelle a permis la prise de photographies et son examen au stéréoscope a confirmé qu'il s'agissait de C. lyoni (fig. 1), une espèce inconnue au Canada. L'attention de l'observateur a de nouveau été attirée par un mâle au même endroit (fig. 2). Puis, J. Perreault a rapporté des spécimens aperçus dans un entrepôt d'Acton Vale. Une femelle a été récoltée et cette mention constitue la deuxième localité de cette araignée au Canada.

Figures 1−2. Crossopriza lyoni, vue latérale 1) femelle, 2) mâle.

Données de récolte.
CPAD : Collection Paquin et Dupérré (Shefford).

Crossopriza lyoni (Pholcidae)
CANADA : Québec : Acton : Acton Vale [45.6461, -72.5659] 19.ix.2021, intérieur d'entrepôt, récolte manuelle, 1, J. Perreault (CPAD) • Communauté Métropolitaine de Montréal : Montréal : Lachine [45.4418, -73.6890] 27.vi.2021, intérieur d'entrepôt, récolte manuelle, 1, F. Bourque (CPAD) • Montréal : Lachine [45.4418, -73.6890] 01.ix.2021, intérieur d'entrepôt, récolte manuelle, 1, F. Bourque (CPAD).

Figures 3−6. Crossopriza lyoni, 3) dépression centrale du céphalothorax mâle, 4) chélicères du mâle munies de deux paires d'apophyses, 5) épigyne, vue ventrale, 6) palpe mâle, vue latérale.

Discussion

Crossopriza lyoni se reconnaît par les caractères suivants : abdomen plutôt sphérique et muni d'une projection dorso-postérieure (fig. 1−2), céphalothorax muni d'une profonde dépression centrale (fig. 3) et les chélicères du mâle sont munis de deux paires d'apophyses; une projetée vers l'avant, et l'autre, latérale (fig. 4). Comme toutes les araignées cependant, ce sont les génitalia mâles (fig. 5) et femelles (fig. 6) qui procurent les caractères fiables pour la détermination de cette espèce.

La coloration de l'abdomen de C. lyoni (fig. 7−8) est reconnaissable à ses bandes blanchâtres, ce qui diffère de la coloration de Pholcus phalangioides (Fuesslin 1775), l'espèce commune au Québec (Paquin & Dupérré 2003).

Figures 7−11. Crossopriza lyoni 7) femelle, vue dorsale 8) mâle, vue dorsale 9) femelle avec sa progéniture 10) mâle, vue frontale, 11) mâle, vue ventrale.

Les palpes des mâles Pholcidae possèdent une morphologie particulière (voir Uhl et al. 1995 et Huber 1998) donnant l'aspect d'un individu immature en vue dorsale ou frontale (fig. 8, 10). En réalité, la structure arrondie et légèrement translucide, qui rappelle l'ensemble des structures mâles des autres familles, n'est que le tibia du palpe des mâles Pholcidae. La portion sclérifiée et intromittente du palpe, nommée procursus dans cette famille, est cependant bien visible en vue ventrale (fig. 11). La sclérification des palpes est une caractéristique qui permet de distinguer les mâles adultes des mâles immatures.

Crossopriza lyoni est une araignée qui émet des sons : les palpes sont munis de structures latérales sclérifiées qui se frottent contre une plaque striée située sur les chélicères. Les femelles sont même munies d'une deuxième paire d'organes de stridulation : elles possèdent des protubérances sur le côté du céphalothorax qui correspondent à une paire de plaques sclérifiées et striées sur la partie dorsale de l'abdomen (Huber et al. 1999). Le rôle et l'utilité de deux systèmes de stridulation distincts sont encore inconnus.

Crossopriza lyoni a été décrit à partir de spécimens récoltés en Inde par Blackwall (1867), mais cette espèce est originaire d'Afrique selon le WSC (2021). Cette araignée possède une répartition quasi planétaire : elle est surtout connue des régions caractérisées par un climat chaud : Australie, Amérique du Sud et Asie tropicale (Beatty et al. 2008, Hubert et al. 1999). Les mentions d'Amérique du Nord, de Floride (Edwards 1993), du Texas (Huber et al. 1999), du Kansas (Guarisco & Cutler 2003), de l'Arizona (Roth 1994) et de la Louisiane (Roth 1994) confirment ses affinités pour les températures chaudes et Huber (2017) résume cette répartition géographique par southern USA. Toutefois, cette araignée, aussi connue du Japon et de Chine (WSC 2021), a récemment été rapportée de l'Allemagne (Bauer et al. 2016), ce qui démontre sa plasticité écologique. La découverte de C. lyoni au Québec demeure cependant surprenante à cause du climat nordique qui caractérise le pays.

C'est sans doute la synanthropie qui apporte la meilleure explication à la répartition géographique actuelle de cette araignée. Comme le mentionnent Beatty et al. (2008) pour la Polynésie et la Micronésie, cette espèce est essentiellement trouvée à l'intérieur des constructions humaines, même dans les climats chauds. Les mentions nord-américaines confirment aussi cette étroite association. L'établissement au Québec de cette araignée suggère que les conditions à l'intérieur des habitations humaines sont semblables, peu importe l'endroit où elle se trouve.

Guarisco & Cutler (2003) précisent que la mention en provenance du Kansas est la plus nordique connue en Amérique du Nord. Les mentions du Québec rapportées ici constituent une extension de l'aire de répartition d'environ 650 km vers le nord.

Crossopriza lyoni se reproduit au Québec (fig. 9) et les deux localités rapportées suggèrent qu'elle est maintenant bien établie. Toutefois, à la lumière de la nature des lieux de récolte qui sont des entrepôts commerciaux de marchandises, il semble probable que l'espèce soit arrivée au Québec par le biais d'échanges commerciaux avec les États-Unis, plutôt que par une introduction outremer.

Depuis les débuts de l'arachnologie au Canada, le seul Pholcidae présent dans l'est du pays était Pholcus phalangioides. Non seulement avec C. lyoni, il faudra être plus attentif, mais Brousseau & Dupuis (2022) rapportent la présence de Pholcus opilionoides (Schrank 1781) au Québec, une troisième espèce, également introduite en Amérique du Nord.

Remerciements

Nous remercions Claire Lépine et Sylvain Lalongé pour la révision d'une première version de ce texte. Enfin, Nadine Dupérré et Sophie Beaulieu pour les illustrations.

Références

Bauer T, Wendt I, Holstein J, Gabriel G. 2016. Crossopriza lyoni new to Germany (Araneae: Pholcidae). Arachnologische Mitteilungen / Arachnology Letters 52:4–6.

Beatty JA, Berry JW, Huber BA. 2008. The pholcid spiders of Micronesia and Polynesia (Araneae, Pholcidae). Journal of Arachnology 36:1–25.

Blackwall J. 1867. Descriptions of several species of East Indian spiders, apparently to be new or little known to arachnologists. The Annals and Magazine of Natural History 3:387–394.

Brousseau P-M, Dupuis ME. 2022. Pholcus opilionoides (Schrank 1781); une nouvelle espèce de Pholcidae pour le Québec (Araneae : Pholcidae). Hutchinsonia 2:95−97.

Edwards GB. 1993. Crossopriza lyoni and Smeringopus pallidus: cellar spiders new to Florida (Araneae: Pholcidae). Florida Department Agriculture and Consumer Services, Division of Plant Industry, Entomology Circular 361:1–2.

Guarisco H, Cutler B. 2003. Crossopriza lyoni (Araneae: Pholcidae), a synanthropic cellar spider newly discovered in Kansas. Transactions of the Kansas Academy of Science 106:105–106.

Huber BA. 1998. Genital mechanics in some Neotropical pholcid spiders (Araneae: Pholcidae), with implications for systematics. Journal of Zoology 244:587–599.

Huber BA. 2017. Pholcidae. Pages 210–212 in Ubick D, Paquin P, Cushing PE, Roth V (editors), Spiders of North America. An identification manual, second edition. American Arachnological Society. Keene, New Hampshire (U.S.A.).

Huber BA, Deeleman-Reinhold CL, Perez-Gonzalez A. 1999. The spider genus Crossopriza (Araneae, Pholcidae) in the New World. American Museum Novitates No. 3262:1–10.

Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.

Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d’identification des araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.

Roth VD. 1994 ["1993"]. Spider genera of North America, with keys to families and genera, and a guide to literature. Third edition. American Arachnological Society. Gainesville, Florida. 203 pages.

Uhl G, Huber BA, Rose W. 1995. Male pedipalp morphology and copulatory mechanism in Pholcus phalangioides (Fuesslin, 1775) (Araneae, Pholcidae). Bulletin of the British Arachnological Society 10(1):1–9.

WSC. 2021. World Spider Catalog, Version 22.0, consulté le 22 décembre 2021.

Publié 
2022
 dans la catégorie 
Arachnides