Raymond Hutchinson
L'érudit naturaliste des libellules et des araignées

Michel Savard, 306, rue Rimbaud, Saguenay (Québec) G7H 7A6.

Préambule

« Il faut souhaiter qu'à compter de maintenant de nombreuses personnes entreprennent des récoltes d'Odonates dans leur région respective et permettent de fixer avec encore plus de précision la répartition géographique des Odonates du Québec. »
– Raymond Hutchinson, 1977 (1).

Havre du Port au Saumon, 2 juillet 2012. Photographie de Denis Turcotte, camp ERE de l’Estuaire

En août 1979, alors que je travaillais comme animateur d'ornithologie au Camp Adrien-Rivard à Cherstey en Lanaudière, j’ai fait la connaissance de Raymond Hutchinson. Pendant les rares temps libres, cet érudit m'initie alors à l'identification des libellules avec son fameux manuel produit en 1977. Investi de cet outil des plus efficace, je pouvais enfin donner un nom d'espèce aux spécimens de libellules de ma collection naissante, débutée en 1977 au camp d'été du Domaine-de-la-Jeunesse à Saint-David-de-Falardeau. C’était assez pour que je me lance l'été suivant à la découverte de l'odonatofaune du Saguenay-Lac-Saint-Jean. J’ai publié un premier bilan au printemps 1982, ajoutant 3 espèces à la liste régionale et précisant le statut de 8 autres, pour un total de 65 espèces. Ce fut ma réponse initiale à l'appel de Raymond. Avec le concours d'excellents naturalistes de la région, l'inventaire s'est poursuivi au fil des années totalisant 94 espèces de libellules répertoriées en 2019, au grand ravissement du Ténor. Il m'accompagnera toujours dans mes futures expéditions odonatologiques.

En mémoire de mon complice de longue date, décédé à l'âge de 82 ans, dans la nuit du 13 mars 2020 à Gatineau, voici quelques traits de sa vie accomplie de naturaliste et d’éducateur (2).

Formation et vie professionnelle
Raymond Hutchinson est né le 17 mars 1937, à Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, d'une mère canadienne-française mariée à un Britannique émigré au Canada. Il avait environ 6 ans lorsque ses parents déménagent à Montréal. Il a fait ses études primaires et secondaires en français, sauf une année en anglais dans un collège anglophone selon la volonté de ses parents de préserver son bilinguisme. Il complète son cours classique au Séminaire des Saints-Apôtres à Côte-Sainte-Catherine de Laprairie en plus de suivre des cours au baccalauréat ès Arts à l'Université de Montréal. Il obtiendra en 1961 un brevet d'enseignement lui permettant de faire carrière au niveau secondaire pendant 20 ans. Il enseigne diverses matières – anglais, sciences et religion – à tous les degrés, principalement en secondaire I, II et III d’abord au Collège Saint-Viateur à Outremont (Montréal), puis au Collège Bourget à Rigaud, deux établissements dirigés par la congrégation des clercs de Saint-Viateur. Il y anime d'innombrables activités parascolaires en sciences naturelles, portant majoritairement sur les protozoaires et les insectes aquatiques, tout en sensibilisant les élèves aux problèmes du Tiers-Monde et en participant spécialement à la fondation de l'organisme Jeunes du Monde. Très actif de 1972 à 1979 au sein du Club des Jeunes Biologistes du père Louis Genest, au Collège Bourget de Rigaud, il avait réussi à obtenir de la commission scolaire les fonds indispensables pour l’aménagement d’un laboratoire adapté aux activités naturalistes, pourvu de grands meubles de rangement, surmontés d’armoires vitrées pour exposer les spécimens étudiés, comme dans un musée classique.

En 1962, en plus de se voir décerner un diplôme de compétence en traduction par l'Institut de Traduction de l'Université de Montréal (3), il suit des cours de littérature anglaise à l'Université Concordia pour son enrichissement personnel. Après sa carrière d'enseignant à Rigaud, ce diplôme et sa maîtrise du langage des sciences dans les deux langues lui permettent d'occuper de 1983 à 1986 un poste de traducteur au ministère fédéral de l'Environnement. Ne conduisant pas d’automobile, il doit déménager de Rigaud à Gatineau pour se rapprocher de son nouveau lieu de travail (4). Fort de son expérience amateur en entomologie, il est employé par Agriculture Canada de 1986 à 1997 au Centre de recherches biosystématiques à Ottawa (de nos jours le Centre de recherches de l'Est sur les céréales et oléagineux) pour diverses tâches techniques reliées aux collections entomologiques, aranéologiques, mycologiques ainsi qu’à la banque phytogénétique; un emploi longtemps désiré par Raymond. À sa retraite en 1997, il poursuit bénévolement ce travail jusqu'en 2015 à la Collection nationale canadienne d'insectes, d'arachnides et de nématodes (CNC) (5), l’une des cinq plus grandes collections du genre dans le monde.

Éducateur en camps d'été
La congrégation des clercs de Saint-Viateur, particulièrement active au Québec dans la promotion de l'étude de la Nature (6), a grandement influencé la destinée de Raymond.

À partir de 1965, sous l’influence du père Jean-Baptiste Genest, Raymond s'investit fidèlement comme animateur en sciences naturelles au Camp d'écologie Saint-Viateur (appelé ERE de l'Estuaire, depuis 2002), situé sur la rive sud du havre du Port au Saumon en Charlevoix (7). Alors qu’il enseigne au Collège Bourget de 1972 à 1981, il anime le Club des Jeunes Biologistes du père Louis Genest, fondateur en 1969 du Centre écologique de Port-au-Saumon, un camp spécialisé situé sur le cap de l’autre rive du havre du Port au Saumon. Chaque année, Raymond trouvait le moyen de se rendre en Charlevoix pour instruire les campeurs à la biologie marine, à la microscopie et à l’entomologie lors d’un séjour de deux à quatre semaines, dans l’un ou l’autre camp alors qu’il était enseignant, puis exclusivement au camp Saint-Viateur au cours des 40 dernières années de sa vie.

En outre, pendant une dizaine d'étés au tournant des années 1980, il anime des stages de découverte de la nature soutenus par les Cercles des Jeunes naturalistes (8), dont ceux offerts par le Camp Adrien-Rivard dirigé par Gérard Guertin et tenus à Chertsey en Lanaudière ou à Saint-Jovite (Mont-Tremblant) en Laurentides.

Le naturaliste
Pour l'apprentissage d'un groupe d'insectes, Raymond prônait la documentation, l'observation, la collection, l'identification, la publication et la communication. Pour bien progresser, il jugeait indispensable de se doter de clés taxinomiques à jour pour l’identification des espèces et d’un état des connaissances sur leur présence observée ou présumée sur le territoire étudié, quitte à devoir réunir les données et informations pour créer ces outils de base (9). Il poussait aussi les jeunes naturalistes à apprendre le lexique entomologique et à perfectionner leur français pour communiquer efficacement par écrit et verbalement leurs observations et leurs réflexions. Un vrai naturaliste possédait forcément selon lui : une bibliothèque bien garnie pour se documenter, des équipements sous la main pour prospecter, des carnets en poche pour noter, un laboratoire maison pour expérimenter, des collections de spécimens pour s'y référer et une dactylo – plus tard, un ordinateur – pour rapporter ses découvertes et exposer des pistes de recherche (10). Constamment à l'œuvre, les objets du jour et les notes manuscrites s'accumulaient nécessairement dans un ordre déconcertant sur les tables, les chaises et les planchers de son appartement...

Au plan scientifique, Raymond privilégiait la méthode inductive propre à la démarche naturaliste. Ainsi, à partir d'un fait déjà connu relevé dans ses lectures savantes, il partait sur le terrain, généralement entouré de jeunes adeptes ou d'un fidèle compagnon d’excursion, pour constater ou clarifier le phénomène qui l'intriguait, quitte à remettre en cause les techniques, concepts scientifiques ou idées reçues, sur la base de faits nouveaux rapportés rigoureusement. Excellent vulgarisateur et pédagogue, il s’appliquait à transmettre ce savoir, particulièrement aux jeunes adolescents pour susciter une relève.

Les libellules d'abord…

« Souvent, dans les camps de science où j’étais animateur, je voyais le livre d’Adrien Robert (11) sur les tablettes du laboratoire, mais je ne soupçonnais pas ce que l’étude des libellules pouvait offrir d’intérêt, d’émerveillement et de possibilités de recherches patientes pendant de longues années. »
– Raymond Hutchinson, 1975 (12).

Dès son assignation au Collège Bourget à Rigaud de 1972 à 1981, Raymond Hutchinson entre en scène à titre d'odonatologiste amateur en suivant les pas du charismatique et infatigable André Larochelle, alors professeur d'écologie et notoire carabidologiste (13). Dès 1973, Raymond s’engage énergiquement dans le mouvement amateur propulsé par la fondation de l’Association des Entomologistes Amateurs du Québec (AEAQ) (14). Nourri de l’approche éthologique de Nikolaas Tinbergen (15) et de l’expérience de Luc Fernet dans son inventaire des libellules au Camp des Jeunes explorateurs au Saguenay (16), Raymond choisit ce groupe d’insectes et explore les territoires de Rigaud et du comté de Charlevoix en quête de ses premières données sur les libellules.

À partir d'observations répétées, Raymond cherchait à reconnaître et à comprendre la diversité du monde des libellules exposée par ses auteurs préférés : Paul-André Robert, Edmond M. Walker et Philip S. Corbet. Devant le manque évident de connaissances sur ces insectes associés à l'environnement québécois, il relève au hasard de ses sorties sur le terrain de nombreux « petits faits d’histoire naturelle », selon sa propre expression. Auteur prolifique, il s'applique à décrire en détail les particularités observées sur la biologie de nos espèces, notamment au stade de naïade, sous forme de récits pédagogiques ou de notes scientifiques (17).

Dès ses débuts, Raymond ne manque pas de rencontrer les animateurs du camp scientifique de Saint-Nérée-de-Bellechasse, tenu par le club Les Jeunes écologistes du Collège de Lévis, alors actifs depuis 1968 dans l’inventaire des libellules (18). En plus de les stimuler sur le terrain, il leur fournit une documentation à jour et les pousse à rapporter leurs découvertes (19). Vers la fin des années 1970, d’autres animateurs de camps de sciences s’engagent pareillement dans l’inventaire des libellules au Québec (20).

Raymond était bien au fait du courant international en faveur de l’étude des libellules avec la naissance en 1971 de la Societas Internationalis Odonatologica (SIO). Cette organisation encourageait la création de bureaux nationaux qui lançaient tour à tour leur propre organe de communication (21). Pour diffuser à la communauté scientifique les nouvelles données acquises sur la faune des odonates et des Carabidés du Québec, les deux confrères du Collège Bourget lancent en 1975 le périodique Cordulia et ses suppléments, en complément au bulletin Fabreries de l’AEAQ auquel ils contribuent abondamment.

Le périodique maison Cordulia a paru jusqu'en 1980 (22) : 6 volumes totalisant 804 pages tapées à la dactylo, privilégiant les notes brèves que les rédacteurs jugeaient importantes pour combler rapidement les lacunes dans nos connaissances et pour susciter l’amorce de recherches plus poussées (23). Une mise à jour du livre pionnier d’Adrien Robert s’était vite imposée : deux suppléments consacrés à l’identification et à la répartition connue des espèces de libellules du Québec (24) inspireront une génération d’entomologistes amateurs et professionnels. Le Manuel d’identification des libellules du Québec, avec sa concision et ses dessins de contour (25), représente une véritable innovation pour s’initier et contribuer efficacement aux connaissances d’un groupe d’insectes. Initialement tiré à 100 exemplaires, Raymond confiait en avoir écoulé environ 1200 copies.

La publication de Cordulia attire jusqu'à un peu plus de 200 abonnés, dont une cinquantaine d'instituts et de sociétés scientifiques à travers le monde. Elle permet notamment à de jeunes entomologistes attachés à des camps de sciences de s’initier à la communication scientifique et à publier dans leur langue leurs premiers travaux d'inventaires sur le terrain. Ce nouvel élan amateur pour l’étude des libellules au Québec a grandement inspiré le professeur Jean-Guy Pilon de l’Université de Montréal dans ses travaux d’inventaires systématiques réalisés dans le sud du Québec entre 1981 et 1995, suivant le courant mondial pour la connaissance et la conservation de la biodiversité (26).

Durant la décennie suivant la cessation de Cordulia, Raymond prend une pause et dirige ses activités entomologiques en animation. Il s’intéressera en 1986 à l’étude des araignées avec son nouvel emploi attaché à la CNC (27). Cependant, sa rencontre avec Benoît Ménard, à l’occasion d’une première réunion de l’AEAQ tenue en Outaouais en 1987, s’avère déterminante pour la relance de ses activités odonatologiques révélée par un feu roulant de publications. À partir de 1989, il poursuit jusqu’à la fin de sa vie avec la production de plus de 70 nouveaux articles faunistiques sur les libellules, parus principalement dans des bulletins de sociétés entomologiques au Québec (28), en Ontario et aux États-Unis. Il expose notamment la richesse de l’odonatofaune de sa nouvelle région d’adoption, l’Outaouais (29), et de celles des comtés de Charlevoix en Capitale-Nationale et de Bonaventure en Gaspésie (30). Plus spécialement, sa description originale de la naïade de la cordulie de Robert (Somatochlora brevicincta), étayée par les élevages de Benoît Ménard, représente une contribution taxinomique reconnue par ses pairs (31).

Pour promouvoir l'étude des libellules auprès du plus grand nombre, Raymond avait rédigé pour Les Cercles des jeunes naturalistes (CJN) trois populaires feuillets d’activités parus en 1976, portant sur la chasse aux adultes et la pêche aux naïades (32). Il s’agissait alors des seuls documents vulgarisés sur la biologie des libellules du Québec, disponibles en français, depuis la parution du livre d’Adrien Robert. Pour la revue des CJN, Raymond rédige également une cinquantaine d’articles de vulgarisation en entomologie, à délicieuse saveur pédagogique. Il était aussi bien présent dans les écoles primaires et secondaires avec plus de 250 représentations données sous l’égide de l’organisme Les innovateurs à l’école, tout en répondant gracieusement aux invitations de parcs, de camps de vacances et de bibliothèques municipales.

Des ennuis chroniques de santé, qui se déclarent en 2006, le contraignent à diminuer grandement ses sorties (33). Il trouvait tout de même l’énergie, quand il le pouvait, pour excursionner avec ses amis, pour animer au camp ERE de l’Estuaire en Charlevoix, pour se présenter aux congrès de l’AEAQ et de la Dragonfly Society of the Americas et pour se joindre – sans en manquer une – aux rencontres annuelles de coordination de l’Initiative pour un atlas des libellules du Québec (2009-2019). À ces dernières occasions, Raymond et son fidèle compagnon d’excursion, Benoît Ménard, se sont appliqués à prôner l’étude des naïades auprès des participants à l’initiative (34), menant à un premier guide d’identification au Québec publié en 2016 par Entomofaune du Québec (35). De nos jours, la collecte d’exuvies de libellules s’inscrit de plus en plus dans le quotidien des sorties amateur au Québec, menant à la découverte surprenante de populations d’espèces discrètes et menacées.

Les araignées de surcroît!

« Vers la fin des années 1980, j'ai découvert les araignées et la fascination de leur étude. (…) À cette époque, je me suis rendu compte que peu de personnes s'intéressaient aux araignées et que leur étude était on ne peut plus négligée chez nous. Pour pallier une telle lacune, je me suis passionné pour ce groupe d'invertébrés qui semble jouer un rôle capital, bien que méconnu dans les écosystèmes. Dans cette grande aventure, j'ai cherché à gagner quelques collègues et amis à la cause. »
– Raymond Hutchinson, 2003 (36).

Alors qu'il travaillait à la Collection nationale canadienne d'insectes, d'arachnides et de nématodes, Raymond adopte la même démarche naturaliste lorsqu'il se consacre de 1986 à 1997 à l'étude intensive des araignées du Québec, sans complètement délaisser celle des libellules.

Pour favoriser la recherche faunistique sur ces arthropodes si difficiles à identifier, il s'associe avec un nouveau venu, Gilbert Bélanger (37), avec l'appui nourri des taxinomistes Charles Dondale et Jim Redner de l'institution fédérale (38). Dès 1992, les deux initiateurs créent le premier document de base fiable : une liste annotée de 548 espèces qui a nécessité trois années de compilation et d'identifications (39). Ils ont réuni les intéressés sous la bannière de l'Association des arachnologues du Québec (40) et autopublié leurs découvertes en lançant le périodique semestriel Pirata (41). En complément au premier document de base, afin de favoriser leur découverte au Québec, paraissait en 1994 une liste annotée de 171 espèces susceptibles de se trouver en territoire québécois (42).

Une dizaine d'années d'activités plus tard, avec le soutien de Raymond, deux adeptes talentueux se démarquent du peloton : Pierre Paquin et Nadine Dupérré. Ils mettent à jour en 2001 la liste du Québec avec 623 espèces répertoriées (43), puis ils finalisent avec brio le second document de base tant désiré et si essentiel aux yeux de Raymond : un guide d'identification des araignées du Québec et des territoires limitrophes, magnifiquement illustré, publié en 2003 par l’AEAQ (44).
Avec ces deux outils fondamentaux, d'une grande qualité scientifique, et en français s’il vous plaît, jamais l'étude des araignées dans une communauté nord-américaine n'avait connu un tel essor avec tant de rigueur et de passion, une initiative inégalée et reconnue partout (45). Cette ferveur a fait redécouvrir l’existence d’une communauté naturaliste francophone et dynamique en Amérique.

À son compte, à partir de 1990, Raymond a rédigé pas moins de 78 d'articles à titre d'auteur ou de co-auteur pour des bulletins et revues entomologiques, relatant ses observations d’araignées au Québec dont une trentaine d'additions d'espèces à la liste de la province. Pour lutter contre l’ignorance et la peur irrationnelle des araignées, nombre de vulgarisateurs et d'organismes se sont appropriés un écrit brillant, intitulé Quelques araignées de nos maisons (46). Devant l'intérêt grandissant pour l'étude des araignées, Raymond, appuyé de Claude Simard de l'AEAQ et du directeur du camp ERE de l'Estuaire, Denis Turcotte, tenait de 2007 à 2009 un stage de perfectionnement sur l'inventaire et l'identification des araignées.

Dans une communication magistrale (47), Raymond estimait en 1990 que l'aranéofaune du Québec devrait compter environ 700 espèces plutôt qu'un millier selon l'avis de certains spécialistes. Une juste analyse du naturaliste, puisque 30 ans plus tard, 694 espèces ont été inventoriées à ce jour au Québec (48) : voilà la trempe de cet amateur!

Épilogue
Raymond était un naturaliste inspirant et un grand éducateur auprès des adolescents. Volubile, il savait s’entourer et communiquer sa passion pour la nature, en particulier l’observation des libellules et des araignées (49). Sa carrière d'enseignant au secondaire sous l'égide de la congrégation des clercs de Saint-Viateur, son dévouement indéfectible dans les camps d'initiation aux sciences naturelles, ses engagements bénévoles avec les Cercles des Jeunes Naturalistes et l'Association des entomologistes amateurs du Québec, ses relations soutenues avec les taxinomistes de la Collection nationale canadienne d'insectes, d'arachnides et de nématodes, et, surtout, son talent d'amateur cultivé sous l'influence du père Jean-Baptiste Genest rencontré en 1965, d'André Larochelle en 1972, de Gilbert Bélanger en 1986 et de Benoît Ménard en 1987, ont tracé la voie à ce grand éducateur et auteur prolifique qui, avec avant-gardisme, rigueur, pédagogie et persévérance, a fait grandement progresser l'odonatologie et l'aranéologie au Québec. Et l'aventure scientifique se poursuit et s'enrichit d'une nouvelle revue portant le nom : Hutchinsonia.

Raymond Hutchinson et Michel Savard, havre du Port au Saumon, 15 juillet 2018. Photographie de Denis Turcotte, camp ERE de l’Estuaire.

Notes et références
1) Hutchinson R. 1977. Catalogue des libellules du Québec, Cordulia Supplément 3:1−45.
2) L’auteur désire remercier Daniel Larouche, Pierre Paquin, Claude Simard et Denis Turcotte pour la relecture du manuscrit.
3) Journal des traducteurs / Translators' Journal 7(2):52. https://doi.org/10.7202/1061284ar/
4) Raymond n'a jamais conduit un véhicule automobile, ce qui ne l'a pas empêché de se rendre aux rendez-vous entomologiques ainsi qu'à ses sites préférés d'observation aux quatre coins du Québec méridional, en autobus ou voituré par son frère Noël ou par ses chers amis.
5) Raymond s’applique alors à restaurer les collections dites « orphelines », c’est-à-dire laissées à elles même avec le départ, sans relève, des taxinomistes les ayant montées. Raymond répétait souvent qu’il jugeait inconcevable que l’institution canadienne ait délaissé la biosystématique des ordres d’insectes aquatiques alors que le Canada, au quatrième rang mondial, possède 7 % des réserves d’eau douce renouvelables de la planète…
6) Parmi les personnages marquants, signalons les frères Adrien Robert [1906−1964], Joseph-Clovis Ouellet [1869−1952], Léo Brassard [1954−2019], Wilfrid Gaboriault [1913−2004] et André Larochelle [1940−]¸ ainsi que les pères Louis Genest [1923−] et Jean-Baptiste Genest [1927−2015].
7) Raymond était très attaché à la mission de ce camp. Lors de la cérémonie commémorative tenue sur les lieux le 25 juillet 2020, la Famille a répandu une partie de ses cendres dans le havre du Port au Saumon, selon ses dernières volontés. Avec le consentement de la Famille, ses amis ont aussi répandu de ses cendres dans la tourbière Chapelle qui l’émerveillait tant lors de ses animations naturalistes, près du lac du Port au Saumon.
8) Les Cercles des Jeunes Naturalistes (CJN), fondés en 1931, « fut le premier organisme d’éducation et de loisir scientifique au Canada français, premier à faire sortir la science des laboratoires, à écrire une chronique de vulgarisation dans un grand quotidien, à encourager les carrières scientifiques chez les femmes, à sonner l’alarme face à l’environnement menacé, à faire connaître la nature aux tout-petits (les 4 à 7 ans), à produire des documents éducatifs sur les sciences naturelles, à concevoir des logiciels sur la nature et à organiser des camps de vacances voués aux sciences. » – Saint-Arnaud A. 2012. Les Cercles des Jeunes Naturalistes (CJN) et les loisirs scientifiques 1931−2011. Histoire Québec 17(3):10−13.
9) L’alter ego de Raymond, André Larochelle, expose en détail comment faire des progrès rapides en entomologie. – Fabreries 2(7):87−89.
10) Dans un article éloquent, Raymond souligne l’importance des organes de communication créés par les sociétés d’entomologie. – Fabreries 2(2):19−20.
11) Ce livre, ainsi qu’un fascicule destiné aux jeunes naturalistes, ont entraîné un engouement sans précédent pour l’étude des libellules au Québec, notamment au sein des camps de sciences naturelles qui foisonnaient à l’époque. – Robert A. 1963. Les libellules du Québec. Service de la Faune, Bulletin 1. Ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, Province de Québec, 223 pages. – Robert A. 1957. Les principales libellules du Québec. Le Jeune naturaliste, 7(9−10):202−255.
12) Hutchinson R. janvier 1975. Présentation. Cordulia 1(1):2−3.
13) Figure marquante en entomologie en Amérique du Nord, jusqu’à son départ pour la Nouvelle-Zélande en 1992, au moment de la fondation du Manaaki Whenua – Landcare Research, à Auckland, pour faire carrière comme taxinomiste avec sa compagne de vie, Marie-Claude Larivière. Le couple a apporté une contribution majeure à la compréhension de la taxinomie, de l'histoire naturelle et de la biogéographie des Carabidés et des Hétéroptères de ce pays. – André Larochelle & Marie-Claude Larivière's web pages. http://www.larochellelariviere.com/
14) Perron J-M. 1975. Nécessité d’un mouvement d’entomologistes amateurs. Fabreries 1(1):1−3. – Jobin L. 1975. Une nouvelle association. Fabreries 1(3):13.
15) « Le grand éthologiste insiste dans son livre sur l’importance pour le chercheur de pratiquer la simple promenade d’observations non planifiée où l’observateur n’a pas d’idée préétablie mais part, carnet de note en poche, vers l’inconnu. L’imprévu peut le surprendre. La découverte risque d’être spontanée. (…) On peut apprendre beaucoup de choses sur la vie des libellules en les étudiant de cette façon. C’est ainsi que j’ai commencé à recueillir des données sur les mœurs des libellules du Québec. » – Hutchinson R. 1975. Observons les libellules. Fabreries 1(7):53−54.
16) Dans le cadre de ses études de maîtrise en biologie à l'Université de Montréal, supervisées par le professeur Jean-Guy Pilon, Luc Fernet entreprend de 1966 à 1968 un inventaire systématique des libellules dans le Bas-Saguenay, avec la collaboration du personnel et le concours des stagiaires du Camp des Jeunes explorateurs dirigés par le frère Léo Brassard au cap Jaseux à Saint-Fulgence. Il a également effectué des échantillonnages sur la Côte-Nord et en Gaspésie, à une époque où les impacts à long terme des arrosages massifs de DDT commençaient à préoccuper. À la fin de ses études supérieures, Luc Fernet se consacre entièrement à l’enseignement de l'écologie au Collège de Joliette ainsi qu’au développement du loisir scientifique au Québec. – Savard M. 1995. Sauvegarde et mise en valeur du patrimoine odonatologique de monsieur Luc Fernet. Bulletin de l’entomofaune 16:13−14.
17) En juillet 1973, à la tombée du jour, lors d'une promenade d'observation sur le chemin menant au sanctuaire Notre-Dame-de-Lourdes sis au flanc de la colline de Rigaud, Raymond expose ses premières observations sur l’æschne des pénombres; un récit à lire au complet, témoignant de son souci pédagogique. – Hutchinson R. 1975. Aeshna umbrosa Walker : libellule du Québec. Cordulia 1(2):40−41.
18) Les principaux moniteurs en odonatologie étaient : Daniel Patry (1972 à 1974), Pierre Gagnon (1975 et 1976), Alain Giroux (1977 et 1979) et Louis Thibeault (1978). Sous l’influence de Raymond, ces derniers ont redoublé d’efforts dans l’étude des libellules, de 1975 à 1979. Ils ont laissé au Collège de Lévis une importante collection scientifique de spécimens, bien documentée par des rapports annuels d’activités. Cette collection, avec les collections personnelles de Jacques Poitras et de Jean-Pierre Savard, sont maintenant conservées à l’Université Laval (Jean-Marie Perron, communication personnelle).
19) Référence aux articles de Richard Breton, Pierre Gagnon, Jacques Poitras et Yves Rousseau, publiés dans Cordulia. 20) Référence aux articles de Jean Legault, Pascal Samson et Pascal Tremblay, publiés dans Cordulia.
21) En 1985, le Bureau national canadien de la SIO lança le bulletin Walkeria, sous la direction de K. Deacon de Lakehead University en Ontario. Signalons qu’un symposium biennal de la SIO s’était tenu à Montréal en 1979, organisé par Jean-Guy Pilon sous l’égide de l’Université de Montréal. Cette organisation internationale, après 25 ans d’existence, a été supplantée en 1997 par la Worldwide Dragonfly Association (WDA).
22) Le périodique scientifique de l’AEAQ, Fabreries, prit alors le relais pour publier les travaux originaux sur les odonates.
23) Raymond fit un plaidoyer en faveur de la publication de notes brèves en entomologie, dévalorisées à l’époque par certains puristes. – Hutchinson R. 1978. L’importance des notes brèves dans la littérature entomologique. Fabreries 4(1):18−19.
24) Hutchinson R, Larochelle A. 1977. Catalogue des libellules du Québec. Cordulia, Supplément 3:1−45. – Manuel d’identification des libellules du Québec. Cordulia, Supplément 4:1−102.
25) Les dessins de contour sont d’André Larochelle, mettant l’accent sur la forme esquissée de l’anatomie, calqués sur les illustrations plus détaillées du livre de Robert (1963) et des monographies de Walker (1953−1975). Cette technique de dessin, très efficace pour l’apprentissage, avait fait ses preuves avec la parution du premier manuel d’identification des libellules en Amérique du Nord, destiné aux naturalistes. – Needham JG, Heywood HB. 1929. A handbook of the dragonflies of North America. Charles C. Thomas, Publisher, Springfield, Illinois, 378 pages.
26) Pilon J-G, Lagacé D. 1998. Les odonates du Québec, traité faunistique. Entomofaune du Québec (EQ) inc., Saguenay, Québec, 367 pages. – « En faunistique, des naturalistes qualifiés ont joué un rôle important, non seulement dans la formation des jeunes, mais aussi dans la production de nombreux inventaires publiés dans les revues québécoises Cordulia et Fabreries. »
27) Il faut dire que dès ses débuts en odonatologie, les araignées captant des libellules dans leur toile et celles adoptant des exuvies comme cachette le fascinaient; il était frustré de ne pouvoir leur attribuer un nom fiable d’espèce!
28) Raymond a été rédacteur du bulletin Nouv’Ailes de l’AEAQ de 1999 à 2005.
29) Cette région était alors délaissée par les collectionneurs de libellules depuis plus de 40 ans. Raymond et son compagnon d’excursion, Benoît Ménard, ajoutent la collecte d'exuvies et la pêche aux naïades pour convoiter des espèces rarement observées au stade d'imago.
30) À l'occasion de ses séjours aranéologiques chez son grand ami Gilbert Bélanger, à Maria en Gaspésie, Raymond explora tout autant l'odonatofaune méconnue de l'enclave bioclimatique de la Baie-des-Chaleurs, entre 1993 et 2009.
31) Ce sont des expéditions odonatologiques américaines et québécoises, dirigées en 1991 et 1996 dans la localité-type au Lac Mistassini, qui ont mené à la description de la naïade et à la validation de l’espèce originellement décrite par le frère Adrien Robert en 1954. – Hutchinson R, Ménard B. 2000. La larve de Somatochlora brevicincta Robert (Anisoptera : Corduliidae). Fabreries 25(4):53−68. Voir aussi : Tennessen KJ. 2019. Dragonfly nymphs of North America: An identification guide, Springer International Publishing, 620 pages.
32) Les Feuillets du Club : La chasse aux libellules (no 78); Récolte et conservation des libellules adultes (no 79); Récolte et conservation des larves de libellules (no 81).
33) L’auteur tient à souligner le dévouement de Benoît Ménard et de sa femme, Lyne McAllister, pour avoir veillé sur Raymond au quotidien pendant ces pénibles années de sa vie.
34) Il faut voir Raymond Hutchinson et Benoît Ménard partageant leur passion pour l’étude des naïades de libellules dans un reportage diffusé en 2015 à la télévision de Radio-Canada : https://ici.radio-canada.ca/tele/la-semaine-verte/2015-2016/segments/reportage/3607/libellules-passions?isAutoPlay=1/
35) Hutchinson R, Ménard B. 2016. Naïades et exuvies des libellules du Québec : clé de détermination des genres. Entomofaune du Québec (EQ) inc., Saguenay, Québec, 71 pages.
36) Hutchinson R. 2003. L'étude des araignées (Araneae) au Québec : le point et perspectives. Le Naturaliste canadien, 127(1):24. – Un texte majeur sur l'histoire de l'aranéologie au Québec, à lire en entier.
37) Le gaspésien Gilbert Bélanger, dans le cadre de sa maîtrise sur les communautés d'araignées du marais salé de L'Isle-Verte au Québec, travaillait alors comme technicien à la Collection nationale canadienne d'insectes, d'arachnides et de nématodes. Après ses études, il entreprendra en 1988 une carrière en enseignement collégial au campus de Carleton-sur-Mer du Cégep de la Gaspésie et des Îles, où il participe à la fondation en 2006 du Centre d'initiation à la recherche et d'aide au développement durable en Gaspésie. La direction générale de cet organisme, sous sa gouverne depuis 2010, l’a contraint à diminuer grandement ses activités aranéologiques.
38) Cinq monographies sur la biosystématique des araignées du Canada ont été publiées par ces chercheurs et leurs collaborateurs entre 1978 et 2003 dans la série The Insects and Arachnids of Canada, éditée successivement par le Biosystematics Research Institute, le Center for Land and Biological Resources Research et le National Research Council Research Press.
39) Bélanger G, Hutchinson R. 1992. Liste annotée des araignées (Araneae) du Québec. Pirata 1:2−119.
40) Organisme sans but lucratif ayant son siège social à Maria en Gaspésie, enregistré le 3 août 1992 et dissout en 1996 (Registre des entreprises du Québec).
41) Le périodique Pirata compléta en 3 ans sa mission de promouvoir l'étude des araignées chez les entomologistes amateurs du Québec. Divers périodiques scientifiques prendront le relais pour une diffusion plus élargie des nombreuses découvertes québécoises, tant par les amateurs que par les professionnels.
42) Hutchinson R, Bélanger G. 1994. Liste annotée des Araignées (Araneae) susceptibles de se trouver au Québec. Pirata 1:202−229.
43) Paquin P, Dupérré N, Hutchinson R. 2001. Partie 1, Liste révisée des Araignées (Araneae) du Québec. Pages 5−87 : Paquin P, Duckle DJ (sous la direction de). Contributions à la connaissance des Araignées (Arachnida) d’Amérique du Nord. Fabreries, Supplément 10, 191 pages.
44) Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d'identification des araignées (Araneae) du Québec, Fabreries, Supplément 11, 251 pages.
45) Encore de nos jours, l’ouvrage classique de Benjamin Julian Kaston sur les araignées du Connecticut, publié en 1948 et révisé en 1981, ainsi que le Guide d'identification des Araignées du Québec paru en 2003, sont les seules publications permettant d’identifier toutes les espèces d’une région en Amérique du Nord (Pierre Paquin, communication personnelle).
46) Un article rédigé conjointement avec Gilbert Bélanger et publié pour la première fois en 1999 dans Nouv'ailes, le bulletin de l’AEAQ, aussi reproduit sous la forme d'un dépliant d'information distribué au public.
47) Premier aperçu sur les araignées (Araneae) du Québec, Fabreries 15(5):90−104. – Un article étoffé, écrit en 1990, sous l'égide du Centre de recherches biosystématiques d'Agriculture Canada.
48) Paquin P, Simard C. 2021. Liste des espèces d'araignées du Québec : mise à jour, changements taxonomiques et nouvelles mentions. Hutchinsonia 1:1–20.
49) À partir d’une vidéo captée sur le vif à Mont-Saint-Hilaire en 2016, Raymond Hutchinson partage avec nous sa passion de naturaliste lors du lancement du guide Naïades et exuvies des libellules du Québec. Rencontre avec Raymond Hutchinson; un film de Lise Chiricota. https://youtu.be/E5CA6HFB18Y

Publié 
2021
 dans la catégorie 
Arachnides