Rencontre fatale pour un mâle Emblyna sublata (Hentz 1842) (Araneae : Dictynidae)

J. Hébert (1), P. Paquin (2)
1. 56e Avenue, Pointe-aux-Trembles, Montréal, QC, Canada. Courriel : woogie55@sympatico.ca
2. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com

Résumé. Nous rapportons l'observation d'un accouplement d'Emblyna sublata qui s'est terminé par la mort du mâle, sans raison apparente.
Mots clés. reproduction, mortalité, accouplement.

Abstract. We report an observation of the mating of Emblyna sublata that resulted in the male's death without any obvious reason.
Keywords. reproduction, mortality, mating.

Introduction

Les araignées sont des prédateurs qui se nourrissent d'autres êtres vivants. Ces risques de prédation sont aussi présents lors des rencontres entre mâles et femelles. Ainsi, la perception que le mâle « risque sa vie » en courtisant une femelle est très répandue et frappe l'imaginaire. Dans certains taxons, un dimorphisque sexuel prononcé défavorise les mâles qui sont beaucoup plus petits que les femelles [Araneidae (Dondale et al. 2003), Nephilidae (Kuntner 2017), Thomisidae (Gertsch 1939)]. Il n'en faut pas beaucoup plus pour voir ces petits mâles comme des proies potentielles. Gertsch (1939) précise à ce propos qu'un manque de préparation ou une approche précipitée risquent de mal se terminer pour un mâle trop impétueux.

Les stratégies utilisées par les mâles pour favoriser leur survie à l'accouplement sont aussi diversifiées que fascinantes. Par exemple, certains mâles Thomisidae vivent sur le dos des femelles jusqu'au moment de l'accouplement. Ainsi positionnés, ils sont hors d'atteinte de la femelle et demeurent attentifs à sa réceptivité pour l'accouplement (Gertsch 1939). Dans d'autres familles, le secret réside dans une approche soigneusement préparée. Certains mâles Pisauridae apportent une proie enveloppée de soie en guise de cadeau pour amadouer la femelle (Prokop & Maxwell 2012). Certains mâles Araneus (Araneidae) annoncent leur arrivée dans la toile de la femelle en « jouant » une petite séquence rythmée en titillant les fils avec leurs pattes (Grasshoff 1964). D'autres émettent des sons et vibrations à une fréquence précise pour stimuler les femelles (Krafft 1978, Stratton & Uetz 1983, 1986, Wingall & Herberstein 2013). Enfin, certains mâles effectuent de complexes chorégraphies dans le but de prédisposer les femelles à l'accouplement (Masta & Maddison 2002).

Toutefois, il ne suffit pas de blâmer le « mauvais caractère » des femelles pour expliquer la mort des prétendants car nous savons aussi que les mâles Latrodectus (Veuve noire, Redbacks, etc.) se jettent dans les chélicères de la femelle à la fin de l'accouplement (Miller 2007). Cette ultime pirouette, effectuée in copula, a pour but de briser le bout de l'embolus mâle (la partie intromittente) dans l'épigyne. Cette obstruction empêche la femelle de s'accoupler avec un autre mâle, ce qui maximise les chances que la progéniture soit celle du sacrifié. Dans d'autres cas, comme celui d'Argiope aurantia Lucas 1833, le mâle meurt mystérieusement in copula à la fin de l'accouplement, sans raison apparente (Foellmer & Fairbairn 2003). Dans le présent article, nous documentons l'observation d'un accouplement d'Emblyna sublata qui s'est vraisemblablement terminé par la mort du mâle.

Résultats

Figure 1. Emblyna sublata. Femelle, vue dorsale.

L'observation a eu lieu le 24 mai 2020 au parc Montmartre (Pointe-aux-Trembles, Montréal), le long d'une lisière boisée. Les araignées ont été photographiées sur une feuille à environ 40 cm du sol, à l'ombre. L'espèce a été identifiée Emblyna sublata (fig. 1) en se fiant à la coloration. Il s'agit de l'espèce de Dictynidae la plus abondante à cette période l'année, ce qui appuie cette identification.

L'accouplement s'est déroulé dans une toile tissée sur la surface d'une feuille, où un mâle à la recherche d'une femelle s'est aventuré. La femelle adopte une position près de la verticale et le mâle introduit l'embolus d'un des deux palpes dans l'atrium de l'épigyne (fig. 2a). Le mâle peut ainsi transférer sa semence dans la femelle (fig. 2b–c). Ce type d'accouplement est appelé type I par Gerhard (et repris par Kaston 1948), ce qui représente la position la plus commune.

Toutefois, quelques secondes plus tard, la femelle quitte le lieu de l'accouplement, laissant le mâle sur le dos, apparemment mort – ou à tout le moins mal en point – enchevêtré dans les fils de la toile (fig. 2d–f).

Figure 2. Accouplement d'Emblyna sublata. a–c) mâle introduisant l'embolus de son palpe dans l'épigyne de la femelle, d–f) femelle quittant l'accouplement et laissant derrière le mâle, apparemment mort.

Discussion

Que s'est-il produit exactement? Nous ne le saurons malheureusement jamais avec certitude. Il est possible que la femelle ait infligé au mâle une morsure fatale et très rapide. Il est aussi possible que le mâle meure mystérieusement et sans cause apparente à la fin de l'accouplement, comme le rapporte Foellmer & Fairbairn (2003) pour Argiope. La mort des mâles Argiope est encore mystérieuse, près de 20 ans après la découverte du phénomène (M. Foellmer, communication personnelle à Pierre Paquin). Il est possible que cette mystérieuse fin se produise aussi chez les Dictynidae, mais n'ait jamais été rapportée. Notre observation ne permet pas de conclure à une mort in copula. Cependant, si cette mort est encore mystérieuse pour les grosses araignées faciles à observer comme A. aurantia, il est possible qu'elle soit passée inaperçue pour les petites espèces telles qu'E. sublata.

Nous espérons que notre observation stimulera l'intérêt et mènera à la récolte de données additionnelles qui permettront de mieux comprendre cet intéressant phénomène.

Remerciements

Nous remercions Claude Simard et Gilles Arbour pour la révision du texte.

Références

Dondale CD, Redner JH, Paquin P, Levi HW. 2003. The Orb-weaving Spiders of Canada and Alaska. Uloboridae, Tetragnathidae, Araneidae and Theridiosomatidae (Araneae). The Insects and Arachnids of Canada, Part 23. Agriculture Canada, Ottawa, National Research Council publications, NRC 44466. 371 pages.

Foellmer MW, Fairbairn DJ. 2003. Spontaneous male death during copulation in an orb-weaving spider. Proceedings of the royal entomological Society of London, B Supplement 270:S183–S185.

Gertsch WJ. 1939. A revision of the typical crab-spiders (Misumeninae) of America north of Mexico. Bulletin of the American Museum of Natural History 76:377–442.

Grasshoff M. 1964. Die Kreuzspinne Araneus pallidus-ihr Netzbau und ihre Paarungsbiologie. Natur und Museum 94:305–314.

Kaston BJ. 1948. Spiders of Connecticut. State Geological and Natural History Survey of Connecticut Bulletin 70:1–874.

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Kuntner M. 2017. Nephilidae. Pages 191–192 in Ubick D, Paquin P, Cushing PE, Roth V (editors), Spiders of North America. An identification manual, second edition. American Arachnological Society. Keene, New Hampshire (U.S.A.).

Masta S, Maddison WP. 2002. Sexual selection driving diversification in jumping spiders. Proceedings of the National Academy of Sciences 99:4442–4447.

Miller J. 2007. Repeated evolution of male sacrifice behavior in spiders correlated with genital mutilation. Evolution 61(6):1301–1315.

Prokop P, Maxwell MR. 2012. Gift carrying in the spider Pisaura mirabilis: nuptial gift contents in nature and effects on male running speed and fighting success. Animal Behaviour 83:1395–1399.

Stratton GE, Uetz GW. 1983. Communication via substratum-coupled stridulation and reproductive isolation in wolf spiders (Araneae: Lycosidae). Animal Behaviour 31(1):164–172.

Stratton GE, Uetz GW. 1986. The inheritance of courtship behavior and its role as a reproductive isolating mechanism in two species of Schizocosa wolf spiders (Araneae; Lycosidae). Evolution 40(1):129–141.

Wingall AE, Herberstein ME. 2013. The influence of vibratory courtship on female mating behaviour in orb-web spiders (Argiope keyserlingi, Karsch 1878). PLoS One 8(1):1–9.

Publié 
2021
 dans la catégorie 
Arachnides