Scytodes thoracica (Latreille 1802) (Araneae : Scytodidae), une addition à l'aranéofaune du Québec

P. Paquin (1), L. Lebrun (2)
1. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : [email protected]
2. Saint-Jean-sur-Richelieu. Courriel : [email protected]

Résumé. Nous rapportons la première mention de Scytodes thoracica (Latreille 1802) au Québec. Les caractères diagnostiques pour l'identification de l'espèce, certaines caractéristiques morphologiques disctinctives et quelques facettes de sa biologie sont présentés. Les affinités synanthropes de cette araignée expliquent cette récente addition.
Mots clés. araignées du Québec, nouvelle mention, espèce synanthrope, araignée cracheuse.

Abstract. We report the first record of Scytodes thoracica (Latreille 1802) in Quebec. Diagnostic characters of the species, some morphological traits and a few aspects of its biology are reviewed and presented. The synanthropic affinities of the spider explains this recent addition.
Keywords. spiders of Quebec, new record, synanthropic species, spitting spider.

Introduction

Hutchinson & Bélanger (1994) ont publié la première liste des espèces récoltées dans des localités limitrophes du Québec, mais encore inconnues de la province. Une de ces prédictions concernait Scytodes thoracica (Latreille 1802), une espèce capturée deux fois en Ontario, à Ottawa et à Belleville, mais nulle part ailleurs au Canada (Paquin et al. 2010). Nous rapportons les données du premier spécimen capturé au Québec et présentons quelques aspects de sa morphologie et de sa biologie.

Résultats

Une photographie publiée par Louise Lebrun sur la page Facebook dédiée aux araignées du Québec a attiré l'attention de Pierre Paquin qui a cru reconnaître S. thoracica. La capture du spécimen a permis un examen au stéréoscope qui a confirmé l'identification de cette araignée. Nous rapportons ici les données relatives à cette trouvaille.

Données de récolte
CPAD: Collection Paquin et Dupérré (Shefford).

Scytodes thoracica (Scytodidae)
CANADA : Québec : Le Haut-Richelieu : Saint-Jean-sur-Richelieu [45.3105, -73.2621] 19.vi.2020, intérieur d'habitation, capture manuelle, 1, L. Lebrun (CPAD).

Revue de littérature et discussion

Les Scytodidae possèdent une morphologie particulière qui les distingue facilement des autres araignées. Elles se reconnaissent à leurs 6 yeux disposés en dyades et au céphalothorax fortement bombé (fig. 1). Cette forme en dôme est en lien avec les glandes à venin modifiées qui se trouvent à l'intérieur. Les lobes postérieurs de ces glandes sont surdimensionnés pour produire une substance gluante (Millot 1930) dont ces araignées se servent pour capturer leurs proies (Ubick 2017).

Figure 1. Scytodes thoracica. Céphalothorax, vue latérale.

Scytodes thoracica est aussi reconnaissable à ses motifs tachetés (fig. 2), mais comme chez toutes les araignées, ce sont les organes génitaux mâles (fig. 3) et femelles (fig. 4) qui permettent l'identification de l'espèce. Le palpe du mâle possède une allure très particulière avec un bulbe génital filiforme.

Figure 2. Scytodes thoracica, mâle. Habitus, vue dorsale.
Figures 3–4. Scytodes thoracica. 3) palpe mâle, vue latérale, 4) épigyne, vue ventrale.

Scytodes thoracica est une espèce synanthrope, ce qui veut dire qu'elle est associée aux humains et à leurs habitations. Cette araignée s'est propagée à l'insu des voyageurs et se trouve presque partout sur la planète. Nous ignorons son origine exacte, mais possiblement l'Europe, le Nord de l'Afrique ou l'Asie. Elle est qualifiée d'introduite en Amérique du Nord, en Argentine, en Australie et en Nouvelle-Zélande (WSC 2021). Kaston (1948) rapporte qu'au Connecticut, l'espèce a toujours été capturée à l'intérieur des habitations, ce qui s'applique aussi aux mentions canadiennes connues.

Monterosso (1928) a été le premier à rapporter le mode de chasse unique de ces araignées. Les Scytodidae ont la capacité de lancer des jets de substance gluante (colle) par les ouvertures des crochets afin d'immobiliser la proie qui se trouve devant elle. L'araignée se déplace avec lenteur pour s'approcher (Kaston 1948), puis projette cette colle enduite de venin à une très grande vitesse (140 ms, Ubick 2017). La colle est projetée à plusieurs centimètres devant l'araignée (Gertsch 1949) qui effectue une légère oscillation, distribuant la sécrétion en zigzag et augmentant l'efficacité de la capture. Une fois la proie collée au substrat, l'araignée s'approche rapidement pour la saisir et la dévorer. Ce mode de chasse a suggéré le nom de la famille : araignée cracheuse, spitting spider en anglais.

Dabelow (1958) précise que S. thoracica devient adulte après 7 mues, mais Bristowe (1958) rapporte 6 mues pour les femelles et 5–6 pour les mâles. Les femelles vivent 2–3 ans tandis que les mâles 1,5–2 ans.

Les femelles fabriquent des petits sacs au travers desquels il est possible d'apercevoir de 4 à 44 œufs, 22 à 24 en moyenne. Les œufs ne sont pas agglutinés les uns aux autres et la femelle transporte son sac avec ses chélicères lors de ses déplacements. Ces araignées tissent de petites toiles dans lesquelles elles se suspendent, et les femelles qui transportent des sacs d'œufs, les maintiennent sur la face ventrale, entre le céphalothorax et l'abdomen (Dabelow 1958).

Comme pour Pholcus phalangioides (Pholcidae) et Dysdera crocata (Dysderidae), les affinités synanthropes de Scytodes thoracica rendent possible la présence de cette espèce un peu partout sur la planète. Elle est plus petite et beaucoup plus discrète que les autres araignées qui peuplent nos habitations. Ces affinités proposent une explication plausible pour cette addition à l'aranéofaune du Québec.

Remerciements

Nous remercions Claude Simard et Geneviève Duchesne pour la révision du texte, et Nadine Dupérré (Department of Arachnology, Centrum für Naturkunde, Universität Hamburg, Allemagne) pour la permission d'utiliser ses magnifiques illustrations.

Références

Bristowe W. 1958. The World of Spiders. Collins Press. 304 pages.

Dabelow S. 1958. Zur Biologie der Leimschleuderspinnen Scytodes thoracica (Latreille). Zoologische Jahrbuecher. Abteilung für Systematik, Geographie und Biologie der Thiere 86:85–126.

Gertsch WJ. 1949. American Spiders. David van Nostrand Company. 285 pages.

Hutchinson R, Bélanger G. 1994. Liste annotée des Araignées (Araneae) susceptibles de se trouver au Québec. Pirata 1:202–229.

Kaston BJ. 1948. Spiders of Connecticut. State Geological and Natural History Survey of Connecticut Bulletin 70:1–874.

Millot J. 1930. Glandes venimeuses et glandes siricigènes chez les Sicariides. Bulletin de la Société Zoologique de France 55:150–175.

Monterosso B. 1928. Note araneologiche. Sur la biologia degli Scitodidi e la ghiandola glutinifera di essi. Archivio Zoologico Italiano 12:63–122.

Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.

Ubick D. 2017. Scytodidae. Pages 237–238 in Ubick D, Paquin P, Cushing PE, Roth V (editors), Spiders of North America. An identification manual, second edition. American Arachnological Society. Keene, New Hampshire (U.S.A.).

WSC. 2021. World Spider Catalog, Version 22.0, consulté le 22 mars 2021.

Publié 
2021
 dans la catégorie 
Arachnides