Trochosa terricola Thorrell 1856 et Trochosa ruricola (De Geer 1778) (Lycosidae)

P. Paquin (1), G. Arbour (2)
1. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
2. 294 Woodland, Otterburn Park, QC, J3H 4B8, Canada. Courriel : gillesarbour@gmail.com

L'identification des araignées n'est pas une tâche facile. Les caractères qui permettent de distinguer deux espèces similaires sont souvent difficiles à observer. Sans s'en rendre compte, le taxonomiste qui investit du temps dans la détermination des espèces cumule des notes qui se traduisent rarement par des écrits ou des croquis. Dans la chronique « Sous le stéréoscope » nous aborderons des cas où la détermination des espèces pose des difficultés.

Il y a 4 espèces de Trochosa en Amérique du Nord (Dondale 2017), dont deux connues du Canada et du Québec (Paquin et al. 2010, Paquin & Simard 2021). Trochosa terricola est holarctique tandis que T. ruricola serait une espèce introduite d'Europe et rapportée pour la première fois aux États-Unis par Edwards (1993) et au Canada par Lalongé et al. (1997). Avant cette introduction, il n'y avait que T. terricola au Canada ce qui rendait l'identification facile. L'ajout de T. ruricola à la faune canadienne complique la situation puisque les deux espèces sont très similaires et de plus, se trouvent parfois en sympatrie (Edwards 1993, Prentice 2001), ce qui veut dire qu'elles cohabitent dans le même milieu.

Figure 1. Trochosa terricola, vue dorsale.

Les femelles Trochosa peuvent se reconnaître par le céphalothorax qui porte deux taches centrales distinctes (fig. 1). Mais la seule façon de faire des identifications fiables consiste en un examen des organes reproducteurs (génitalia) au stéréoscope : les palpes des mâles et l'épigyne des femelles. Ces organes sont formés de plusieurs structures qui portent des noms précis tant chez les mâles que les femelles. La forme et la configuration des ces structures fournissent les caractères pour la détermination des espèces. Ce fait explique aussi pourquoi les araignées immatures ne peuvent être déterminés à l'espèce puisque ces caractères sexuels ne sont présents que chez les adultes. Dans cet article, nous nous attarderons qu'à une seule structure mâle : l'embolus, qui est la structure intromittente (qui pénètre la femelle lors de l'accouplement). Il existe une grande diversité de formes d'embolus, mais cette forme est constante au sein d'une même espèce.

Figure 2. Trochosa ruricola. a) palpe mâle, vue ventrale, b) bulbe génital mâle, vue ventrale, c) épigyne, vue ventrale, d) épigyne éclaircie, vue dorsale.
Figure 3. Trochosa terricola. a) palpe mâle, vue ventrale, b) épigyne éclaircie, vue dorsale, c) épigyne, vue ventrale.

La distinction entre T. terricola et T. ruricola est relativement facile à faire avec les mâles. L'embolus de T. ruricola est semblabe à un petit fil droit, bien visible sur le côté du palpe (flèche rouge, fig. 2a, b). Chez T. terricola, la portion terminale de l'embolus forme une petite boucle facilement visible entre les sclérites (flèche rouge, fig. 3a). Avec un mâle adulte Trochosa, la forme de l'embolus procure un caractère qui permettra de conclure à coup sûr de quelle espèce il s'agit. Qu'en est-il si le spécimen sous le stéréoscope est une femelle? C'est à ce moment que les choses se compliquent. L'examen de l'aspect externe de l'épigyne ne permet pas de distinguer les deux espèces. Les structures femelles externes illustrées par deux arachnologues / artistes (fig. 2c, 3c), montrent de légères différences dues aux styles graphiques ou à de la variation entre spécimens, mais ne permettent pas de mettre en lumière un caractère diagnostique.

Dans les cas où l'aspect externe de l'épigyne n'est pas utile dans l'identification, il est d'usage d'effectuer une dissection de l'épigyne et de traiter cette structure avec un acide doux qui rend la chitine, les tissus, et les graisses translucides. Cette technique permet de mieux voir la partie sclérifiée des génitalia au lieu de la deviner par transparence. Cette préparation permet de mieux observer la structure femelle qui est faite d'ouvertures vers l'extérieur, de conduits et de réservoirs. Pour ces deux espèces de Trochosa, l'épigyne éclaicie (en vue ventrale) ne permet pas de les distinguer non plus.

Il est alors utile d'examiner la vue dorsale de la structure éclaicie, comme si on voyait à travers l'abdomen en regardant le dos de la bestiole. Habituellement, cette vue permet de mieux apprécier la structure femelle et de déceler des caractères qui ne sont pas observables autrement. Dans le cas présent, la vue dorsale des épigynes éclaircies (fig. 2d, 3b) ne permet pas non plus d'observer de caractères utiles pour distinguer les deux espèces. Les légères variations observables avec les illustrations ne sont pas pertinentes pour distinguer les deux espèces.
Brady (1980), Roberts (1985), Prentice (2001), Paquin & Dupérré (2003), de même que le grand spécialiste des Lycosidae C.D. Dondale (communication personnelle) ont tenté de déterminer un caractère pour distinguer les femelles de ces deux espèces, mais rien de convaincant n'a été découvert à ce jour. Les femelles de ces deux espèces de Trochosa demeurent indissociables.

Cette situation a forcé les arachnologues à explorer d'autres avenues pour identifier les femelles. Roberts (1985) mentionne que les deux espèces se discernent sans problème puisque les palpes de T. ruricola (mâles, femelles et immatures) sont munis d'une griffe terminale (flèche bleue, fig. 2). Toutefois, comme l'a fait remarqué Prentice (2001), ce caractère est variable et certains individus de T. ruricola n'en possèdent pas. On ne peut donc pas se fier à ce caractère en cas d'absence de griffe.

Prentice (2001) a proposé que le motif de coloration du céphalothorax, particulièrement la bande pâle qui borde la marge, est utile pour distinguer les femelles. Pour T. ruricola, ce bandeau clair est continu, tandis que pour T. terricola, il est absent ou discontinu. Ce caractère semblait fonctionner pour les populations étudiées dans cet article, mais l'examen d'un plus grand nombre de spécimens a montré que la coloration est trop variable pour être utile et ne permet pas non plus de distinguer les femelles (T. Prentice, communication personnelle).

Bien que la coloration générale de T. ruricola soit plus roussâtre et pâle que celle de T. terricola, la variabilité ne permet pas de conclure quoi que ce soit. Même chose à propos de la taille légèrement inférieure de T. ruricola. Il est à noter qu'étant une nouvelle arrivée par le sud, T. ruricola n'avait pas été capturée dans les localités et habitats plus nordiques ou reculés, il y a de cela quelques années. Quoiqu'intéressante, cette avenue écologique demande confirmation, ou à tout le moins, une nouvelle évaluation.

À ce jour, à part les techniques utilisant l'ADN, la seule façon d'assigner un nom aux femelles Trochosa consiste à les associer avec un mâle dûment identifié, quand les nombres le justifient. Par exemple, un bio-inventaire qui a permis de récolter 200 mâles T. terricola et aucun T. ruricola; les femelles peuvent être assignées à T. terricola. Il est cependant plus risqué avec la récolte d'un ou deux individus seulement puisque les espèces vivent parfois en sympatrie.

Remerciements

Nous remercions Geneviève Duchesne et Claude Simard pour la révision du texte et Nadine Dupérré (Department of Arachnology, Centrum für Naturkunde, Universität Hamburg, Allemagne) pour la permission d'utiliser ses magnifiques illustrations.

Références

Brady AR. 1980 ["1979"]. Nearctic species of the wolf spider genus Trochosa (Araneae: Lycosidae). Psyche 86:167–212.

Dondale CD. 2017. Lycosidae. Pages 178–182 in Ubick D, Paquin P, Cushing PE, Roth V (editors), Spiders of North America. An identification manual, second edition. American Arachnological Society. Keene, New Hampshire (U.S.A.).

Edwards RL. 1993. New records of spiders (Araneae) from Cape Cod, Massachusetts, including two possible European immigrants. Entomological News 104:79–82.

Lalongé S, Redner JH, Coderre D. 1997. First Canadian records of Trochosa ruricola (De Geer), Ostearius melanopygius (O. Pickard-Cambridge), and Dictyna decaprini Kaston (Araneae: Lycosidae, Linyphiidae, Dictynidae, respectively). The Canadian Entomologist 129:371–372.

Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.

Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d'identification des araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.

Paquin P, Simard C. 2021. Liste des espèces d'araignées du Québec : mise à jour, changements taxonomiques et nouvelles mentions. Hutchinsonia 1:1–20.

Prentice TR. 2001. Distinguishing the females of Trochosa terricola and Trochosa ruricola (Araneae, Lycosidae) from populations in Illinois, USA. Journal of Arachnology 29:427–430.

Roberts MJ. 1985. The Spiders of Great Britain and Ireland. Volume I. Introduction; Classification and Nomenclature; Key to Families; Description of Species - Atypidae to Theridiosomatidae. Harley Books, England. 229 pages.

Publié 
2021
 dans la catégorie 
Arachnides