Variations sur un thème (1) : Araneus marmoreus Clerck 1757 (Araneidae)

P. Paquin (1), G. Arbour (2)
1. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
2. 294 Woodland, Otterburn Park, QC, J3H 4B8, Canada. Courriel : gillesarbour@gmail.com

Dans le règne animal, il est souvent possible de se fier aux motifs et à la coloration pour identifier les espèces. Cela fonctionne plutôt bien avec les oiseaux et leur plumage, ça fonctionne aussi avec les félins. Dans d'autres groupes cependant, la coloration est souvent trop homogène, ou trop variable, pour être utile. Dans ces cas, il faut examiner d'autres caractères pour identifier les espèces. Cette situation s'applique souvent pour les taxons très diversifiés comme les arthropodes, où les pièces génitales sont souvent les seuls caractères fiables. Ces génitalia possèdent une forme unique et propre à chacune des espèces, tant pour les mâles que les femelles. Ces structures, faites de plusieurs sclérites (morceaux, pièces) forment un ensemble qui sert à la reproduction, mais procure du même coup des caractères qui permettent aux taxonomistes de reconnaître et de déterminer les espèces.

Les débutants en arachnologie se fient beaucoup aux motifs et la coloration pour identifier un spécimen. Cette approche peut être utile pour déterminer quelques familles et certains genres, mais permet rarement de conclure à un nom d'espèce avec certitude. L'identification des espèces d'araignées pose même un double problème :

1) Dans certains groupes, il y a des dizaines d'espèces différentes qui ont exactement le même aspect (coloration, teinte, motifs, etc.). Cette situation est courante au sein de la famille des Linyphiidae, ou dans certains genres qui contiennent plusieurs espèces très semblables (par exemple : Xysticus, Philodromus, Clubiona).

2) La situation contraire est aussi commune : une même espèce présente un aspect tellement variable qu'il serait facile de conclure qu'il s'agit d'espèces différentes, alors que ce n'est que de la variation au sein d'une même espèce. Comment s'en sortir alors? Dans les deux cas, la solution passe par l'examen des génitalia. Dans les lignes qui suivent, nous aborderons la situation d'une espèce commune et très variable : Araneus marmoreus.

Figure 1. Araneus marmoreus, femelles.
Figure 2. Araneus diadematus, femelle.

Au Québec, le genre Araneus (Araneidae) inclut 14 espèces plutôt similaires (Paquin & Dupérré 2003, Paquin & Simard 2021). Ces araignées sont bien connues pour leur grande taille et les toiles orbitculaires qu'elles tissent. Toutefois, les espèces du genre sont aussi connues pour la grande variabilité des motifs abdominaux; même les professionnels ont trop tendance à se fier aux patrons de couleur sans vérifier les caractères diagnostiques, ce qui a mené a beaucoup d'erreurs d'identification des spécimens conservés dans les musées (Levi 1971). La figure 1 montre quatre araignées qui appartiennent à l'espèce Araneus marmoreus. La variation présentée des motifs abdominaux et de la coloration est très spectaculaire, et n'exclut pas l'existence possible d'autres motifs pour cette espèce. Bien malin, celui qui réussira à déterminer de façon certaine que le spécimen présenté à la figure 2 n'est pas une variation de A. marmoreus, mais représente Araneus diadematus Clerck 1757, une espèce bien distincte de A. marmoreus. Nous ne donnons pas d'exemple ici de la variabilité de A. diadematus, mais elle existe aussi, bien que les taches blanches en forme de croix soient un caractère utile. Alors comment fait-on pour s'en sortir et arriver à déterminer que l'espèce de la figure 1a = 1b = 1c = 1d et n'est pas la même que celle de la figure 2 ? C'est à ce niveau qu'intervient l'examen des génitalia.

Figure 3. Épigyne, vue ventrale. a) Araneus marmoreus, b) Araneus diadematus. La présence de sclérites latéraux chez A. marmoreus permet de diagnostiquer l'espèce et de la distinguer d'A. diadematus, qui n'en possède pas.

Tous les spécimens des figures 1 et 2 sont des femelles; pour résoudre l'énigme, il faut étudier le génitalia femelle c'est à dire l'épigyne. Comme A. marmoreus et A. diadematus sont des espèces apparentées, les structures génitales sont semblables. Au premier coup d'oeil au stéréoscope, il est facile de repérer la longue structure qui pointe vers l'apex de l'abdomen, le scape (flèche bleue, fig. 3). Bien que légèrement différente, la forme du scape ne permet pas facilement de faire la distinction entre les deux espèces. Toutefois, l'épigyne de A. marmoreus est munie de sclérites latéraux (flèche rouge, fig. 3a) qui sont de petites structures dures, facilement observables, logées à la marge latérale de l'épigyne. Ces sclérites latéraux sont présents pour A. marmoreus, mais absents chez A. diadematus. Ce caractère permet facilement de faire la distinction entre les femelles des deux espèces, indépendamment des motifs ou la coloration. Ainsi, la présence de sclérites latéraux des femelles de la figure 1a, 1b, 1c, 1d permet de conclure à A. marmoreus, et l'absence de sclérites pour la femelle de la figure 2 à A. diadematus.

Existe-t-il d'autres caractères pour distinguer les femelles? Bien sûr! Mais pour l'instant, nous pouvons nous limiter à la présence de ces sclérites puisque ce caractère procure un excellent diagnostic pour la distinction de ces deux espèces. Il existe aussi une certaine variabilité de la coloration des mâles Araneus, mais elle est moins spectaculaire que chez les femelles. Pour distinguer les mâles de ce genre, il y a une série de caractères utiles que nous traiterons une autre fois.

Références

Levi HW. 1971. The diadematus group of the orb-weaver genus Araneus north of Mexico (Araneae: Araneidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology 141:131–179.

Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d'identification des araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.

Paquin P, Simard C. 2021 Liste des espèces d'araignées du Québec : mise à jour, changements taxonomiques et nouvelles mentions. Hutchinsonia 1:1–20.

Publié 
2021
 dans la catégorie 
Arachnides