Figure 1. Lymantes nadinae est une espèce qui existe réellement. Il s’agit d’un coléoptère de la famille des Curculionidae découvert en 2006 dans les cavernes du Texas (Crédit : Pierre Paquin).
dans la bande dessinée Fractalis,  Dr. Nadinskushen apprends qu'un Curculionidae porte son nom
Figure 2. Dans la bande dessinée, le coléoptère est décrit pour honorer le Dr. Nadinshuchen pour la remercier de son aide. Dans la réalité, Lymantes nadinae a été décrit pour honorer Nadine Dupérré qui a généreusement illustré cette espèce et fait profiter de nombreux taxonomistes des ses talents d'illustratrice. (Crédit : Paquin et Roy-Savard).

Le curculion Lymantes nadinae existe pour vrai (figures 1, 2) ! Et le contexte décrit dans la bande dessinée ressemble à ce qui s'est réellement passé lorsque j’ai récolté ce coléoptère le 27 décembre 2006, dans une caverne du Texas. Mon travail consistait, entre autres, à documenter la faune cavernicole de la grande région de Austin / San Antonio. Les cavernes du Texas abritent de nombreuses espèces endémiques dont la répartition géographique est très mal connue. Cette région est sous une intense pression pour le développement urbain, ce qui cause une multitudes de problèmes de conservation, entre autres pour les espèces troglobies qui se trouvent dans le karst du centre du Texas. 

La difficile tâche de documenter la présence et la répartition géographique de ces bestioles est nécessaire puisque de nombreuses espèces sont inscrites sur la liste des espèces en voie de disparition, ce qui procure un statut légal à ces espèces menacées. Il n’est donc pas possible ni pour le gouvernement, ni pour un promoteur, d’effectuer des projets (développement d’autoroutes, centres commerciaux, développement résidentiel) sans s’assurer que le sort de ces animaux soit pris en compte.

Ce jour-là, nous avions plusieurs cavernes à visiter dans le but d’effectuer des bio-inventaires éclairs, c'est-à-dire de prélever quelques spécimens afin de déterminer, une fois revenu au laboratoire, les espèces récentes dans cette grotte. Je me souviens parfaitement d’une formation rocheuse du type “flow stone” en anglais, qui est en fait une énorme stalagmite avec une base très large qui fait un peu penser à une colline, comme si la pierre avait été formée en la coulant. Cette formation géologique était très pâle, presque blanche, et j'ai aperçu ce que je croyais être un petit débris brunâtre sur la partie supérieure de cette pierre. “Oh, un curculion ! Curieux …” ai-je dis à Craig Crawford, mon acolyte de travail. Reconnaître un curculion est chose facile, même sur le terrain, même presqu'en pleine noirceur, à cause du rostre qui est une structure allongée sur la tête de la bestiole qui fait en sorte qu’on dirait qu’elle possède un nez énorme (figure 3). N’en faisant pas plus de cas qu’il ne le faut puisque le spécimen était déjà mort, je l’ai placé dans une fiole pour l’examiner plus tard, au cas où cela ne serait pas simplement un spécimen qui a été emporté par hasard par l’eau de pluie de l'extérieur et qui serait mort dans cette caverne.

Une fois revenu au laboratoire, je jette un coup d'œil rapide aux captures de la journée. C’est mon rituel de petit garçon - qui n’est toujours pas passé à ce jour - à cause de l’excitation de savoir ce qu’on a bien pu trouver dans cette fatigante journée de travail. Une fois le curculion dans l’objectif de mon stéréoscope, je constate rapidement qu’il est dépourvu d’yeux, ce qui est très particulier puisque je connais plutôt bien l’ensemble des espèces associées aux cavernes de cette région (araignées, coléoptères, pseudoscorpions, opilions, myriapodes, etc), mais je n’ai jamais rien lu à propos de Curculionidae troglobie. Je crois donc qu’il s’agit de quelque chose de potentiellement très intéressant, mais mon expertise comme taxonomiste concerne les araignées, non pas les Curculionidae… Toutefois, un des avantages d'être un taxonomiste professionnel est qu’on a toujours un collègue qui est un expert d’un groupe qui n’est pas le nôtre. Et dans ce cas-ci, j’ai contacté Robert Anderson du musée canadien de la nature, qui est un expert des Curculionidae ! Après quelques échanges de courriels, il me confirme qu’il n’y a pas de Curculionidae troglobie connu, mais il est possible que ce soit une espèce connue de la région, par contre pour en avoir le cœur net, il faudra que le spécimen soit examiné. Je lui expédie donc le coléoptère par la poste et retourne à mes bestioles à 8 pattes. Quelques jours plus tard, je reçois des nouvelles de Bob - nous sommes tous amis dans ce milieu, probablement une conséquence de passer ses journées avec des petites bestioles qui parlent peu - qui me confirme qu’effectivement, il s’agit bien de quelque chose de nouveau et que ce n’est pas décrit, donc une nouvelle espèce pour la science. J’étais très heureux de la nouvelle et nous avons rapidement commencé la rédaction de l'article scientifique de cette découverte. Je voulais que cette trouvaille évoque quelque chose de réel pour ceux qui s’intéressent au sujet, j’ai donc demandé à Nadine Dupérré s’il était possible de produire des illustrations de cette fantastique bestiole. Nadine est une prolifique arachnologue et collègue de longue date, qui avait déjà effectué des contrats d'illustrations pour Bob. Les illustrations pour l’article de ce Curculionidae troglobie ont été rapidement produites (figure 3) et sont, comme à l’habitude de Nadine, de très grande qualité. Toutefois, je tenais à remercier Nadine pour le travail qu’elle avait accompli avec une si grande générosité pas seulement dans ce cas, mais au cours de sa carrière pour de nombreux taxonomistes qui sont dévoués à décrire la diversité biologique de notre planète. J’ai donc proposé à Bob de nommer cette nouvelle espèce Lymantes nadinae pour souligner son immense contribution à la taxonomie, ce qu’il a immédiatement accepté.

Dans la recherche qui a mené à cet article, deux autres spécimens de cette espèce ont été trouvés par Bob Anderson dans l’immense collection de Curculionidae du musée. Ces autres spécimens avaient aussi été récoltés dans des cavernes du Texas, mais n'avaient pas reçu la même attention que le spécimen trouvé en 2006. Ces spécimens additionnels confirment la présence de cette espèce troglobie dans les cavernes de cette région.

Ce coléoptère d’une grande rareté est, de plus, un mystère ! En effet, les Curculionidae sont, sans exception, des phytophages, c'est-à-dire qu'ils se nourrissent de matières végétales. Or cette espèce est troglobie; elle a évolué pour devenir une spécialiste des cavernes. Comment un phytophage a-t-il pu survivre et évoluer dans les cavernes, un milieu sans lumière et donc sans plantes ? L'hypothèse qui répond le mieux à cette apparente contradiction serait que L. nadinae se soit adapté pour consommer les racines qui se trouvent parfois sur les plafonds des cavernes de cette région. L’avenir et des données supplémentaires nous diront si cette hypothèse est la bonne !

lymantes nadinae, un curculion troglobie des cavernes du Texas
Figure 3. Lymantes nadinae appartient aux Curculionidae, une famille qu’on reconnaît facilement à cause de la structure en forme de nez, sur le devant du coléoptère. Il ne s’agit pas d’un nez, mais plutôt de l’allongement de la tête, qu'on appelle le rostre, puisque cette structure se termine par la bouche. Lymantes nadinae est le premier Curculionidae troglobie de l'Amérique du nord et a été nommé pour honorer Nadine Dupérré, une arachnologue hors pair. Nadine a fait profiter de nombreux chercheurs de ses talents de dessinatrice scientifique dans la description de nouveaux taxons, dont les illustrations de L. nadinae. (Crédit : Nadine Dupérré).

Auteur : Pierre Paquin

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Publié 
11/9/2023
 dans la catégorie 
Fractalis