Parcours

Dans cette section, je trace le portrait des collaborateurs et collaboratrices de Natureweb. Ce sont des scientifiques passionnés au parcours souvent atypique. Ils et elles acceptent de se livrer pour démystifier la personnalité du chercheur à la curiosité insatiable dont le travail consiste à mettre en lumière les résultats de ses recherches en s’appuyant sur des preuves solides. Leur mission : faire avancer la connaissance et protéger la biodiversité de nos milieux naturels.

Clôde de Guise

Rien ne destinait Jocelyn Forget à une carrière en science. Le déclic s’est produit à la fin de ses études secondaires. Accepté au baccalauréat en sciences biologiques de l’Université de Montréal, la microbiologie l’interpelle parce qu’il aime observer la vie sous l’œil du microscope. Il a la passion de la transmission du savoir et sera chargé de cours en sciences biologiques pendant 35 ans à l’UdeM et 15 ans à l’UQAM. Il enseignera à plus de 20 000 étudiants!

Aîné d’une fratrie de 3 garçons, Jocelyn est né à Montréal en 1950. Ses parents sont de milieu modeste et peu instruits. Son père était mécanicien de locomotives pour le Canadien Pacifique (CP). Il a connu les locomotives à vapeur avant de conduire les locomotives au diesel. Sa mère, comme le voulait la tradition, était femme au foyer.

Sa petite enfance, il la vit d’abord dans le quartier de la Petite Patrie. Le trottoir et la ruelle sont ses premiers terrains de jeu, mais le Parc Jarry est à quelques coins de rue et offre des aires de jeux dont raffolent tous les enfants. En 1960, la famille emménage dans le quartier ouvrier de Saint-Michel. Nouveau quartier avec ses ruelles et ses trottoirs.

En 1962, les parents achètent un chalet à Val Morin en bord de route.

« Nous allions jouer dans la forêt un milieu totalement différent de ce que j’avais connu en ville, mais je n’avais aucune curiosité pour la nature », se rappelle Jocelyn Forget.

Au cœur de la révolution tranquille

Ses parents sont des catholiques pratiquants. Jocelyn se souvient du chapelet en famille récité, tous les soirs à la radio, par le cardinal Paul-Émile Léger à Montréal. « Avant d’entrer à l’école primaire, notre mère nous apprenait les trois grandes prières chrétiennes : Je crois en Dieu, Notre-Père et Je vous salue Marie et nous savions compter jusqu’à cent », raconte Jocelyn. Toujours parmi les trois premiers de classe, Jocelyn passe haut la main son primaire. « Je n’étais pas particulièrement studieux mais j’avais une excellente mémoire », confesse-t-il.

Son père, curieux de nature, lisait beaucoup, mais il n’a pas eu la chance de poursuivre ses études. À son époque, la province de Québec était, depuis 1944, sous la gouvernance de l’Union nationale de Maurice Duplessis dominée par la présence de l’Église catholique. Gouvernement pour qui l’instruction publique n’était certes pas une priorité.

En 1960, le peuple renverse la vapeur en élisant le parti libéral de Jean Lesage. Le Québec vit une période intense de transformation et de modernisation. C’est la révolution tranquille.  Au cœur de cette révolution, l’instruction est obligatoire et gratuite jusqu’à l’âge de 16 ans. Les écoles secondaires poussent comme des champignons. En fait, le gouvernement a loué des manufactures pour les transformer en écoles. « Je me souviens de mon école secondaire Saint-Michel », relate Jocelyn. « Nous étions logés dans une bâtisse au 3750 boulevard Métropolitain (autoroute métropolitaine aujourd’hui), le lieu était bruyant et les fenêtres toujours très sales. Il n’y avait pas de gymnase ni de cours de récréation. J’avoue avoir un peu perdu l’intérêt pour les études et mes résultats scolaires étaient dans la moyenne, autour de 75 % ». Il ajoute : « Je remercie sincèrement le gouvernement de l’époque et en particulier les membres de la Commission Parent dont le sociologue Guy Rocher décédé récemment à l’âge de 101 ans qui ont permis à des enfants de milieu modeste du bébé-boum d’après-guerre de réaliser des études gratuitement jusqu’au cégep ». Jocelyn obtient son diplôme d’études secondaires (DES) en science-math (cours scientifique, option mathématique) en 1967, mais il y avait tellement d’effervescence à cette époque qu’il était difficile de décider où aller avec un DES en poche. Pour brouiller encore plus les cartes, le ministère de l’Éducation crée les cégeps cette année-là.

Que faire?

Sciences biologiques option microbiologie.

Le déclic

Il s’inscrit au Cours préparatoire aux études supérieures (CPES), en somme la 12e année. L’école secondaire Iberville est aussi une manufacture désaffectée située au 5660 rue d’Iberville mais il y reçoit un enseignement de haut calibre. Donné par des jeunes professeurs bacheliers, motivés et passionnants dans leur domaine respectif en chimie, en physique et en biologie.

Jocelyn me raconte alors : « J’ai eu ma première crise de foi, je devais avoir 8 ans, lorsque j’ai candidement demandé à ma mère d’où viennent les bébés. Elle m’a répondu qu’on s’en remettait à Dieu, mais une jeune fille célibataire en face de chez nous était enceinte. Je ne comprenais pas pourquoi le bon Dieu avait permis ça ».

Aussi lorsque le monde de la science s’ouvre à lui et répond à ses questions notamment sur les origines de la vie sur Terre en dehors des dogmes de la religion, Jocelyn a le déclic pour les sciences. Le scientifique émet des hypothèses qui doivent être prouvées. La preuve sert à confirmer ou réfuter l’hypothèse de départ. Pour la première fois dans ses études, il découvre que les cellules sont constituées d’éléments chimiques comme tout le reste de l’univers. « Il était temps que ces trois sciences fondamentales - chimie, physique et biologie - s’intègrent dans mon cerveau », lance-t-il en riant.

En 1968, il s’inscrit au cégep (Collège de Maisonneuve) en sciences pures. « Je suis dans une véritable institution d’enseignement avec des locaux adéquats, un enseignement structuré, un groupe de professeurs et d’étudiants motivés. Nous avons accès à un gymnase, une piscine et un espace récréatif », dit-il avec soulagement.  « Je ne peux pas passer sous silence les manifestations étudiantes qui étaient fréquentes à l’époque et qui ont forgé une génération plus consciente de ses droits et devoirs ».

« Mon père a toujours cru dans la valeur de l’instruction et il en comprenait l’importance pour un avenir meilleur. Il nous a incité mes frères et moi à faire des études avancées », confie Jocelyn.

Jocelyn Forget à 23 ans avec son Nikon F2.

En septembre 1970, son diplôme d’études collégiales en poche, Jocelyn entame des études à l’Université de Montréal. En 1973, il obtient un baccalauréat en sciences biologiques option microbiologie (science qui s’intéresse à l’étude des micro-organismes : bactéries, champignons, protozoaires, virus).

En 1978, il termine une maîtrise en sciences biologiques, option biologie cellulaire et en 1988, il obtient son doctorat en sciences biologiques (option biologie cellulaire). Durant ces années d’études à temps partiel, il travaille comme auxiliaire d’enseignement (chef de travaux pratiques, chargé de cours) afin de subvenir, avec son épouse Simone, au bien-être des trois premiers enfants.

« J’ai choisi la microbiologie parce que j’aime observer l’infiniment petit sous l’œil du microscope », dit-il. Hélas! Les bactéries ne sont guère intéressantes sous le microscope optique ou photonique. Le début de son baccalauréat fut décevant jusqu’au jour où le cours de Protozoologie enseigné par le professeur Pierre Couillard fut offert en 2e année (pour la petite histoire il était le père de l’ancien premier ministre du Québec Philippe Couillard). Enfin, il pouvait observer des organismes unicellulaires assez gros pour présenter des structures (organelles) visibles au microscope photonique. Au début de la troisième année de baccalauréat, il fait part au professeur Couillard de son désir d’entreprendre des études de deuxième cycle dans son laboratoire.  Il fut accepté sur présentation de ses résultats académiques. Cet infiniment petit sera l’univers des amibes qu’il explorera tout au long de ses études de maîtrise et de doctorat.

Papillon sur gentiane - Été 1974.

Coup de cœur pour l’enseignement

« En plus de mon sujet de recherche, j’aimais la façon d’enseigner du professeur Pierre Couillard, nous avions des intérêts communs. Il a été un véritable mentor pour moi », reconnaît Jocelyn.

« C’est en étant chef des travaux pratiques que j’ai eu la piqûre pour l’enseignement, la transmission des connaissances. Les étudiants m’écoutaient et comprenaient mes explications. C’était très gratifiant », soutient-il.

Pour Jocelyn, pas de doute possible, le domaine de la recherche n’était pas sa tasse de thé. Il allait se dédier à l’enseignement et ne l’a jamais regretté. Il sera chargé de cours de 1980 à sa retraite en 2015 à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal. Il a enseigné des cours de biologie cellulaire, de génétique, de microbiologie, d’histologie, d’embryologie et de protozoologie aux étudiants en Sciences biologiques, Sciences biomédicales et Biochimie et Optométrie. Il les initie aux rudiments de la biologie moléculaire, de la microbiologie et de l’immunologie.  Le cours de Biologie cellulaire sera son cours préféré et celui qu’il aura le plus souvent offert. Au début des années 2000 l’UQAM instaure un baccalauréat en biologie en apprentissage par problèmes. L’horaire des cours ne lui permet plus d’enseigner dans les deux universités. La directrice du Département de sciences biologiques de l’UdeM le fait nommer adjoint au premier cycle en sciences biologiques où il supervisera avec une formidable équipe de TGDE (techniciennes en gestion des études) le parcours universitaire de quelque 700 étudiants inscrits au baccalauréat, à la majeure et à la mineure en sciences biologiques. Il est également dans son mandat de superviser le parcours des étudiants internationaux.

Rigoureux et « flyé »

Impossible d’oublier l’enseignement de Jocelyn Forget s’accorde à dire ses anciens étudiants, dont Pierre Paquin*, biologiste et arachnologue et co-fondateur du site natureweb.com avec Gilles Arbour.**

Dès le premier cours du trimestre, devant 40 à 400 étudiants, il déclare : « Ma mission est de vous faire aimer la biologie cellulaire. De plus, je ne suis pas plus intelligent que vous mais seulement plus expérimenté ».  Son cours étant obligatoire, il a vite compris qu’il devait développer un type d’enseignement fascinant, déstabilisant même intrigant pour motiver ses hordes d’étudiants. Il se plaît à dire que sa réussite pédagogique est due à ses deux PhD. Le premier en biologie cellulaire et le second qui se décline en Passion, Humour et Dynamisme.

Étudiants de niveau Maîtrise et Doctorat (cohorte 1977) qui proviennent de plusieurs universités au Québec. À la station de biologie marine de Grande-Rivière en Gaspésie. Jocelyn y enseignait la microscopie à contraste de phase, la photomicrographie et le développement photographique.

Jocelyn entre toujours en classe avec sa valise au contenu hétéroclite : colliers, tire-bouchons, épingles à linge, blocs Lego, jouets et objets d’usage courants pour illustrer l’univers microscopique de la cellule. Lorsque la matière à enseigner se complexifie, il interpelle ses étudiants en activant un clignotant rouge. « Les étudiants savent que nous entrons dans une zone de turbulence et qu’ils doivent redoubler d’attention », explique Jocelyn qui s’amuse franchement en partageant ses stratégies hors du commun. Ce n’est pas tout, Place au théâtre! La classe devient l’intérieur de la cellule et les étudiants doivent mimer la traduction d’un ARNm en protéine que Jocelyn a scénarisé.

Ce professeur exigeant, rigoureux et authentique a mis en place un système de télévoteur, une technologie de sondage interactif. Il pose une question à choix multiple aux vingt minutes; ce qui lui permet de collecter rapidement des informations sur le pourcentage des étudiants qui ont compris la matière enseignée. Le cas échéant, il demande aux étudiants quelle notion reprendre.

Il utilise aussi cet outil afin que les élèves choisissent, parmi les dates proposées, la date de l’examen de mi-session et celle de l’examen final. Rien à envier à la firme de sondage Léger et Léger connu aujourd’hui comme Léger (Recherche - Stratégie - Conseil).

Ses notes de cours sont éditées dans un ouvrage détaillé que les étudiants peuvent acheter et tous les cours sont enregistrés et versés sur StudiUM : l’environnement numérique d’apprentissage de l’UdeM. Reprenant une formule mise en place par le professeur Couillard après chaque examen, l’étudiant peut comparer sa feuille de réponses avec celle du professeur et connaître immédiatement sa note. Ce système permet de savoir s’il y aura erreur de correction une fois les notes connues. Jocelyn met aussi sur pied un comité de cinq étudiants qui a pour mission d’éplucher les statistiques relatives à l’examen : taux de réussite et indice de discrimination de chaque question, coefficient de d’homogénéité de l’examen, courbe de distribution des notes, etc. Plusieurs scénarios s’offrent alors aux membres du comité lorsqu’une question est échouée par la majorité des étudiants : aucune intervention, la question bien que difficile pouvait être répondue correctement car les étudiants ont reçu toute l’information pertinente en classe et dans les notes de cours. Il peut y avoir deux réponses bonnes, auquel cas on recorrige l’examen. Une fois le comité d’accord, l’examen est donc officiellement accepté au nom de tous les étudiants de la classe.

Prix 2014 de l'Association des étudiants en Arts et Sciences.

Jocelyn Forget a été récipiendaire de quelques bourses d’étude et de nombreux prix d’excellence en enseignement. Au cours des 35 années comme chargé de cours, il a vécu l’évolution des sciences biologiques, il pouvait répondre à des questions vers la fin de ses années d’enseignement auxquelles, il n’y avait pas réponse quelques années auparavant. Une autre fierté de Jocelyn est d’avoir participé à la démocratisation de la science trop longtemps enfermée dans sa tour d’ivoire.

Retraité heureux

En 1973, Jocelyn acquiert son premier appareil photo argentique Nikon F2. Il photographie alors des paysages et s’adonne à la macrophotographie tout en réalisant des photos de famille. À ce jour sa fidélité à Nikon est indéfectible.

Jocelyn et sa femme Simone sont des amoureux de la nature et des ornithologues aguerris. Ils apprécient faire des randonnées d’observation qui les ont amenés entre autres à faire des safaris photos en Afrique du Sud, à observer le soleil de minuit et des paysages hors du commun en Islande, des aurores boréales et des fjords en Norvège, des oiseaux au Costa Rica et au Panama.

Jocelyn et son épouse Simone n Islande.

Simone reste fascinée par la photographie ornithologique et tourne son regard vers le ciel pour capter la faune ailée. Jocelyn, équipé de son appareil numérique, tourne son regard vers le sol pour photographier des insectes, des araignées et capter des insectes en vol. « Je suis fasciné par le déploiement de leurs ailes », renchérit-il.

Libellule en vol.

Parents de 4 enfants, deux filles et deux garçons, ils sont grands-parents de neuf petits-enfants. Lorsque je questionne Jocelyn sur notre avenir à tous, il me répond : « Je suis conscient que la science a commis des erreurs, donnant pour exemple les pesticides et le DDT. Mais sans volonté politique, la science seule ne pourra pas résoudre les nombreux défis auxquels l’humanité est de plus en plus confrontée. Mais elle doit faire partie des solutions », espère-t-il pour le bien des générations à venir.

Ses petits-enfants apprennent rapidement à observer la nature!

En conclusion, Jocelyn Forget désire léguer quelques lignes qu’il écrivait, à ses étudiants, à la fin de ses examens : « Je vous laisse avec quelques pensées à méditer durant votre vie professionnelle ».

« La science est loin d’être l’outil parfait de la connaissance. C’est simplement le meilleur que nous ayons. » Carl Sagan

« L’esprit n’est pas un contenant à remplir, mais plutôt un feu à allumer. » Plutarque

« Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion. » Saint-Augustin

Ces citations représentent bien la philosophie qui l’animait durant toutes ses années d’enseignement.

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Références à consulter sur le blogue du site natureweb.com :

*Tisser sa toile - Rencontre avec Pierre Paquin, biologiste et arachnologue

** Objectif nature - Rencontre avec Gilles Arbour, naturaliste et photographe.

Publié 
10/11/2025
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