Parcours
Dans cette section, je trace le portrait des collaborateurs et collaboratrices de Natureweb. Ce sont des scientifiques passionnés au parcours souvent atypique. Ils et elles acceptent de se livrer pour démystifier la personnalité du chercheur à la curiosité insatiable dont le travail consiste à mettre en lumière les résultats de ses recherches en s’appuyant sur des preuves solides. Leur mission : faire avancer la connaissance et protéger la biodiversité de nos milieux naturels.
Clôde de Guise
Objectif nature
Curieux du monde vivant depuis la petite enfance, Gilles Arbour est un naturaliste dont le parcours est fascinant. Son insatiable curiosité et sa détermination lui ont permis de s’imposer comme chercheur autodidacte et il a acquis une solide réputation comme photographe dans le milieu de l’entomologie et de l’arachnologie. Bienvenue dans l’univers de l’homme qui révèle les images de ces bestioles, de quelques millimètres, méconnues du grand public.
Une enfance heureuse
Originaire du village de Saint-Gabriel-de-Brandon dans Lanaudière, il vit au sein d’un clan familial tissé serré. La grande maison familiale abrite outre la famille de Gilles, son père, sa mère et sa sœur, les grands-parents paternels, la sœur de son père et ses trois enfants, et son oncle célibataire. C’est aussi le magasin général doublé d’une quincaillerie. Dans la cour, une vache, un cheval, des poules.
Dans les maisons à proximité habitent les frères de son père avec femmes et enfants. Un des frères de son père a épousé la sœur de la mère de Gilles et sa grand-mère maternelle vit avec eux. Gilles a longtemps cru que cette cohabitation intergénérationnelle - grands-parents, oncles, tantes, cousins et cousines - était le lot de toutes les familles. Son père et tous ses oncles sont des commerçants connus dans la région.
Petite anecdote en passant: un des oncles était propriétaire du IGA et a fait croire pendant quelques années à son jeune neveu qu’il avait baptisé son épicerie en son honneur, IGA voulant dire Ici Gilles Arbour. Gilles rit encore de sa naïveté de l’époque.
Bien qu’il soit bien entouré et aimé, c’est un garçon timide et réservé. Ce premier de classe est un boulimique de lecture. Ses héros de jeunesse, Bob Morane et Tintin, lui ont donné le goût de l’aventure et du voyage.
Fusionner avec la nature
À quelques minutes en voiture, se trouve le chalet familial au bord du grand lac Maskinongé. Gilles n’a qu'à traverser la rue pour explorer un beau grand champ fleuri et découvrir un monde grouillant d’activités: la stridulation incessante des insectes, le bourdonnement des butineurs, le saut des criquets et le vol des papillons, tout l’interpelle. Il passe beaucoup de temps à observer et à récolter plantes et insectes. Le soir, ce sont les lucioles qui l’intriguent avec leur signal lumineux. Quelques spécimens sont cueillis dans un pot en verre puis relâchés. Son père lui a fait fabriquer une fourmilière à son usine de portes et châssis. Sans trop comprendre la dynamique des fourmis dans leur va-et-vient constant, Gilles, de nature contemplative, se plaisait à les observer.
En suivant le vol d’un papillon, Gilles vit un moment exceptionnel de fusion avec la nature. Cette expérience, de quelques instants, a été déterminante dans son rapport à tout ce qui vit sur terre. Notre petit bonhomme d’une dizaine d’années comprend rapidement que l’observation requiert d’être très présent, concentré et alerte, ce qui lui servira beaucoup plus tard alors qu’il s’imposera comme photographe naturaliste. Sa fascination pour le monde vivant est facilitée par la proximité de la nature qui l’entoure.
Vacances et liberté
Ce champ d’observation durant les vacances d’été inclut une virée familiale au chalet d’un oncle à Saint-Zénon. Dans ces lieux plus sauvages, se côtoient diverses zones écologiques et le champ d’investigation est presque sans limite: plantes, insectes, têtards, grenouilles, mollusques, libellules (dont il fera une collection maladroitement épinglée sur un carton), mammifères (du mulot à l’orignal) et enfin les nombreux oiseaux aquatiques et terrestres tiennent en alerte un jeune garçon qui s’émerveille de tout ce qui l’entoure.
Gilles s’imagine coureur des bois avec son couteau de chasse fixé à sa ceinture. Son père l’initie à la pêche. Avec ses amis, ils construisent un abri, fabriquent leurs meubles, consolident le tout avec des nœuds appris chez les scouts. Ils campent quelques jours à la fois dans cet abri de fortune.
« Mes étés au chalet, de ma naissance jusqu'à l'âge de 16 ans, ont été incroyablement formateurs. Je suis choyé et privilégié d'avoir pu vivre une enfance en contact rapproché avec la nature. Ces jeunes années m'inspirent et me nourrissent encore et toujours », raconte avec éloquence Gilles.
Séminaire de Joliette
Être pensionnaire au cours classique apporte de multiples occasions de pratiquer son latin. Pour un temps, il fait partie d’un petit groupe qui converse dans cette langue qui lui sera si utile plus tard pour comprendre les noms scientifiques des arthropodes. Il se passionne aussi pour les mathématiques et le jeu d'échecs grâce à un professeur, M. Gaétan Lafond, qui a le talent de répondre aux aspirations des plus forts comme des plus faibles. Pour Gilles, il existe une mathématique de l’univers qui ne permet aucune tricherie. Sans ambages, il affirme que « les chiffres sont le vrai langage universel. » Plus tard, il obtient les clés du labo de biologie et passe de trop nombreuses heures à calculer les courbes statistiques de croissance et de décroissance des différentes populations de bestioles dans des aquariums remplis de plantes et de boue provenant de la rivière l’Assomption qui passe dans la cour du Séminaire. Il y découvre la métamorphose des larves de libellules, les punaises d’eau géantes (Belostoma flumineum) dont les mâles transportent les oeufs sur leurs dos, les coléoptères aquatiques, et tous les petits êtres microscopiques - daphnies, rotifères, copépodes - qui foisonnent dans nos eaux. Ces observations concrétisent sa pensée que les lois mathématiques et leurs applications géométriques gouvernent tout dans l’univers, y compris le monde biologique. Aussi, dira-t-il: « Fidèle à mes convictions, j'imagine que je superpose une forme géodésique sur l'ensemble de la biosphère, cette mince couche autour de la terre où tout ce qui vit existe. Chaque organisme vivant est une intersection dans cette structure, étroitement tissée en lien avec les autres dans cette immense toile biologique qui couvre entièrement toute notre planète. »
Découvrir le monde
À l’âge de 19 ans, il part pour l’Amérique latine avec son ami Luc, à bord d’un vieux van Econoline rafistolé avec un canot fixé sur le toit. C’est la découverte d’autres cultures et d’une biodiversité époustouflante. Ils traversent les États-Unis, parcourent le Mexique, l’Amérique centrale jusqu’au Panama, puis poursuivent leur voyage en Amérique du Sud qui se conclut en bateau aux Îles Galapagos en Équateur. Y vivent des animaux sans peur de l’humain, faciles à approcher dont une multitude d’iguanes, les tortues géantes et les fameux pinsons de Darwin. « Comme il n’y avait pas encore d’hôtel à cette époque, on dormait directement sur la plage et les pélicans venaient nous gratter le dos au lever du soleil », raconte-t-il encore incrédule. Après avoir visité 10 pays en six mois, ce voyage prend fin. Son attachement pour l’Amérique latine le suivra tout au long de sa vie.
À compter de 1982, Gilles retournera 26 fois au Mexique et en Amérique latine pour observer la biodiversité de la faune (oiseaux, tortues, serpents, insectes, faune aquatique en plongée, etc.) Récemment en 2023, il a documenté en photos la seule araignée végétarienne (Bagheera kiplingi) dans la zone de Ek Balam au Yucatan et il est devenu le photographe officiel du Mayan Melipona Bee Sanctuary Project, une organisation consacrée au développement de l’élevage et de la protection de l’habitat des abeilles Melipona sans dard (Melipona beecheii), l’abeille sacrée des Mayas, dans la province du Yucatan au Mexique.
Gilles se donne à fond dans tout ce qu’il entreprend et se documente comme s’il devait présenter une thèse sur chacun des nombreux sujets qui le passionnent. Ce généraliste qui a longtemps rêvé d’un enseignement de type socratique: un maître et ses élèves, n’a jamais trouvé cette stimulation dans le système scolaire de son époque.
Parcours éclectique
Avant de se consacrer à la macrophotographie naturaliste et entomologique, Gilles Arbour a exploré plusieurs avenues. Restaurateur, massothérapeute, formateur, conférencier, éditeur de musique - et puis naturaliste spécialisé en photographie d'insectes et d’araignées. Il réussit dans tout ce qui le passionne. Le premier de classe n’est jamais loin.
Au début des années 70, il suit les enseignements de Michio Kushi, un Japonais qui a introduit les principes de la macrobiotique à Boston aux États-Unis. Pendant son séjour aux USA, il étudie aussi le massage Shiatsu avec Shizuko Yamamoto et autres instructeurs. En 1977, avec des associés, il ouvre un resto fusion qui présente des aliments naturels préparés dans le style de plusieurs cultures. Avant-gardiste, on y sert des aliments de culture biologique. Le restaurant Vent d’Est, sur la rue Rachel à Montréal, s’est taillé une place enviable dans le milieu de la restauration.
Dans les années 80, il fonde le Centre éducatif intégration dédié, entre autres, aux diverses techniques de massothérapie et principes d’une vie saine. On y accueillera plus de 3,000 étudiants. Gilles publie « Apprendre le massage » aux Éditions Québec-Amérique en 1987.
Début des années 2000, lui et son fils créent premiumbeat.com une librairie de musique et d’effets sonores originaux dont le succès est fulgurant. C’est suite à sa retraite en 2014 que Gilles se consacre à plein temps à la photo d’insectes et d'araignées.
Documenter la vie
C’est au début des années 80 que Gilles s’initie à la photographie et documente des projets auxquels il participe. Il constate l’utilité de ces documents photographiques et l’attrait qu’ils ont sur les participants et le public.
Au cours de ses voyages au Nicaragua entre 1993 et 2000, dans le cadre d’un projet humanitaire, il prend beaucoup de photos pour documenter les progrès sur le terrain et présenter des diaporamas à travers les USA à des groupes de personnes qui appuient le projet. À l’époque, il voyage avec des rouleaux de pellicule et ce n’est qu’au retour qu’il découvre les images: les bonnes et les mauvaises!
Mont Saint-Hilaire
Déjà résidents depuis 1991 de la région du Mont Saint-Hilaire que Gilles et sa conjointe Guylaine affectionnent particulièrement comme lieu de randonnée, ils s’installent à Otterburn Park en 2013. Lors de la recherche du nouveau domicile, la maison était accessoire, c’est le terrain de 50 000 pi2 (4645 m2) qui a été l’attrait principal. Avec son ruisseau, ses arbres et arbustes, son ancien court de tennis transformé en jardin de fleurs et de plantes médicinales. Ils ont créé un laboratoire de biodiversité en constante évolution. Depuis 2014, plus de 50 % de la collection de photos d’insectes de Gilles (autour de 20 000) sont prises dans cet immense terrain de jeu nature. De nouvelles espèces s’y découvrent chaque semaine.
En 2014, Gilles crée sur Facebook le groupe Photos d’Insectes du Québec qui compte à ce jour près de 7 000 membres. À partir de photos, c’est un forum d’échange pour apprécier et identifier les petites bestioles encore trop largement méconnues. Pour Gilles, ce site lui a permis de parfaire ses connaissances sur l’entomofaune d’ici.
Ce naturaliste et environnementaliste dans l’âme a quelques autres sujets chouchous comme documenter année après année la famille de chouettes rayées qui niche dans un boisé près de chez lui. Pendant deux ans, Guylaine et lui ont participé à la protection du faucon pèlerin, en documentant sa présence sur une falaise du Mont-Saint-Hilaire. Avec le survol photographique de l’entomofaune dans la tourbière de la Réserve naturelle du Bois-des-Patriotes, ces efforts lui ont valu le prix Alice E. Johannsen en 2017 qui récompense les efforts de personnes qui contribuent à la protection et la conservation du territoire de la Réserve de la biosphère de Mont-Saint-Hilaire.
Travail de terrain
Pour capter les insectes et les araignées sur le terrain, étant donné que ceux-ci bougent, s’envolent ou disparaissent rapidement, il lui fallait trouver l’équipement le moins encombrant et le plus léger possible sans sacrifier la qualité de l’image. À force d’essais et d’erreurs, Gilles a trouvé ce qui lui convient parfaitement. Il tient d’une seule main une caméra Olympus munie d’une lentille 60 mm, d’un diffuseur, d’un flash et d’une loupe. Cet équipement minimaliste lui permet une rapidité de prises, tout en conservant la capacité de soulever les feuilles, de marcher à quatre pattes ou d’enjamber un obstacle.
Depuis tout petit, il a développé une capacité d’attention à laquelle s’est greffé un bon sens d’observation: « Plus on connaît les mœurs de nos sujets, plus c’est facile d’obtenir de bonnes photos ». On peut capter une image pour des fins différentes: identification, comportement, divers stades de transformation de l’œuf à l’adulte, camouflage, interaction inter-espèces.
Dans un bol
En 2019, le biologiste et arachnologue Pierre Paquin (voir l’article: tisser sa toile) fait appel à Gilles Arbour pour des clichés d’araignées. Pour photographier les minuscules araignées rapportées dans des fioles, Gilles a fait preuve d’ingéniosité en utilisant un bol et une assiette creuse à rebord en porcelaine blanche d’où les petites bestioles ne peuvent pas s’échapper. Ce studio improvisé permet d’obtenir une qualité d’images exceptionnelle.
La rencontre entre Pierre et Gilles est à l’origine d’une amitié et d’un partenariat qui perdure. Ensemble, ils ont notamment dressé les bio-inventaires de quelques tourbières dont celle de Saint-Denis-sur-Richelieu couverte à 94 % de milieux humides. Ils ont aussi co-fondé le présent site de natureweb.com
Une myopie éclairée
Si Gilles a été attiré par la macrophotographie, il prétend que sa myopie l’a dirigé vers ces insectes discrets par leur petite taille parce que son regard est naturellement porté vers ce qu’il voit de près. Il a tiré de l’ombre ces petites bestioles pour les faire connaître au grand jour. Ses photos nous font apprécier la diversité, les coloris et l’utilité de ces insectes qui nous entourent. Il travaille l’esthétisme des photos pour les rendre plus attrayantes dans un but pédagogique de conservation. On protège ce qu’on connaît et on apprend à connaître ce à quoi nous sommes exposés.
Sa renommée déborde la frontière et ses photos ont été publiées dans des livres, des guides, des calendriers, des articles de magazine et articles scientifiques, des outils pédagogiques et même pour un jeu de société.
Lien photo: www.flickr.com/photos/insectesquebec/albums
Je laisse à Gilles Arbour, le mot de la fin:
« La recherche de cette union avec la Vie est devenue l’essence de mon cheminement. Finalement tout ce que je fais a pour but de me rapprocher de cette fusion. Ma passion pour la nature est intime, forte, vitale. Je m’y engouffre avec toute la dévotion d’une pratique spirituelle. »
* ** Photo d'entête - Gilles en Équateur en 2015